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se présentent au premier coup d’œil entre les conditions de la propriété foncière en France et celles de la propriété foncière aux colonies, qu’en France le sol est recherché par les capitaux comme objet d’une longue possession, et qu’il leur offre en général, avec un intérêt très modéré, une assiette définitive ; qu’aux colonies, au contraire, le sol a un caractère en quelque sorte manufacturier, et que presque toujours il est acquis comme un moyen non-seulement de retirer de ses capitaux, un revenu élevé, mais encore de réaliser des bénéfices et de constituer des capitaux nouveaux… » Tout en reconnaissant la haute compétence du comité consultatif des colonies en ces matières, nous dirons que ce contraste nous semble surtout reposer sur une apparence ingénieusement présentée. La dissemblance a bien réellement existé, comme tant d’autres, par le fait de l’esclavage, mais aussi, comme tant d’autres, elle a cessé par le fait de la suppression de l’esclavage. Aujourd’hui la question nous semble se renfermer dans ce dicton de grand sens devenu bourgeois par sa simplicité : « Tant vaut l’homme, tant vaut la terre. » — Oui, tant vaut l’homme, tant vaut la terre ! C’est la loi de toute société où le travail est libre, et c’est, Dieu merci, désormais la loi de la société coloniale, comme c’est aussi celle de la métropole ; mais ce mot de la sagesse populaire ne doit pas seulement s’entendre de la pensée qui conçoit, il doit encore s’entendre des bras qui exécutent. Que vaudrait le meilleur de nos ingénieurs agricoles s’il n’avait des conducteurs et des journaliers ?

On voit tout de suite combien cette partie de notre étude se lie étroitement à celle qui précède : rétablissez par l’immigration l’équilibre entre l’offre et la demande des bras aux colonies, et la propriété foncière se trouvera reposer sur les mêmes bases que dans la métropole. Nous avons assez longtemps habité ces contrées et assez étudié ces matières pour oser déclarer résolument que nous n’admettons pas la valeur de cette distinction entre la détention manufacturière (et par suite passagère) du sol colonial et la longue possession du sol métropolitain. Elle est d’abord en contradiction manifeste avec les effets de l’ancien droit hypothécaire colonial, maintenu intégralement, comme nous l’avons rappelé, jusqu’en 1848 et même au-delà. On peut dire en effet que le résultat indirect, mais manifeste, de cette législation était la sucrerie érigée en majorât au profit du planteur et l’insaisissabilité organisée au détriment de son créancier. Et que de labeur, que de persistance, de sacrifices subis, de tactique déployée, pour sauvegarder cette sorte de noblesse agricole ! C’est ce dont on ne peut guère se rendre compte lorsqu’on n’a pas été à même de connaître quelle rude existence se cachait sous l’hospitalité,