Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/109

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

colonies aurait donc à sacrifier l’intérêt de nos possessions d’Amérique, qui ont le plus besoin d’assistance, pour ne pas sacrifier celui de la Réunion, qui en a le moins besoin : grave alternative qui ne saurait certainement être acceptée sans discussion. Il n’y a pas là seulement en effet une affaire de gouvernement à gouvernement, il y a encore une question de droit public.

Les habitans de la péninsule hindoustanique sont-ils libres ou ne sont-ils pas libres ? La vérité est qu’une sorte d’esclavage mitigé a naguère existé dans l’Inde anglaise comme dans toutes les autres parties du continent asiatique. La prise de possession de la compagnie laissa subsister cette institution, comme elle laissa subsister les autres faits sociaux qu’elle trouva séculairement établis parmi les indigènes. On n’y prit pas garde, on l’ignora presque. Cependant le grand parti qui s’était donné la noble mission de faire disparaître le servage de tous les pays placés sous le pavillon britannique finit par songer que les hommes de race africaine n’avaient pas seuls droit à sa sympathie, et par s’enquérir de l’état des choses dans les domaines de la compagnie. Comme il n’y avait guère que les natifs qui fussent intéressés dans cette nature de propriété, la question devenait fort simple : on n’avait pas à se préoccuper de l’indemnité de dépossession, comme lorsqu’il s’était agi des colons de race européenne sujets anglais. Donc un simple acte local, rendu le 7 avril 1843 et confirmé en juillet suivant par la cour des directeurs, proclama l’abolition complète de toute espèce de servage dans l’Inde. Cet acte est des plus précis, des plus explicites ; mais d’Anglais à Indien il changea peu de chose à la situation. Il s’est créé dans la péninsule un état social qui n’est ni l’esclavage, ni même le servage, mais qui n’est pas non plus la liberté : c’est la domination politique descendant aux personnes et se les appropriant pour ainsi dire. D’après le droit international cependant, la condition de l’Indien est exclusivement régie par l’acte définitif du 7 avril 1843. Il n’est pas à penser que ce principe ait jamais été réellement méconnu dans les communications diplomatiques qui ont eu pour but d’entraver nos tentatives d’immigration. Lorsque la compagnie des Indes fait parler le foreign-office en son nom dans cette affaire, elle ne va pas jusqu’à lui demander de nier le droit qu’ont les Indiens de se transporter d’un lieu à un autre, d’immigrer en un mot. Seulement elle les présente comme des incapables, comme de grands encans qui ne savent apprécier ni les obligations, qu’ils contractent, ni les épreuves de l’expatriation. C’est comme ayant charge de leur bien-être devant Dieu et devant les hommes qu’elle les laisse libres de se rendre jusqu’à l’île de la Réunion, mais se refuse à ce qu’ils s’exposent aux rigueurs de la traversée qui les conduirait aux Antilles.