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Je ne blâmerai point M. Montanelli d’avoir concentré tout l’intérêt du troisième acte dans deux situations principales : la force et la diversité des sentimens qui y sont en jeu permettent facilement d’oublier tout le reste. Camma inspire la compassion lorsqu’au moment de châtier le coupable, elle subit, pleine d’angoisses, les amers reproches du barde ami de Sinatus : d’un mot elle pourrait le réduire au silence, reconquérir son admiration et son estime, qui pour elle a tant de prix ; mais ce mot, elle ne le dira point, car il pourrait compromettre sa vengeance. C’est ainsi humiliée, mais inébranlable dans sa volonté, qu’elle s’avance pour la cérémonie nuptiale, au milieu des signes non équivoques de la stupeur et de la réprobation de tous ceux qui l’entourent. La sombre et inexplicable satisfaction qui éclate malgré elle sur son visage augmente leur douleur et fait contraste avec la joie amoureuse de Sinorix. Une fois la coupe vidée, tous les rôles changent : la fureur contenue de la prêtresse éclate, ainsi que l’indignation de l’assistance, et le tétrarque reste couvert de confusion, frappé de terreur, jusqu’au moment où, les tortures physiques d’une mort hideuse l’entraînant hors de la scène, la triomphante agonie de Camma occupe seule le spectateur. La tâche de la druidesse est accomplie : n’ayant plus rien à faire en ce monde, elle s’envole au séjour des étoiles, où l’attend Sinatus.

Mme Ristori a largement contribué au succès de Camma par l’incontestable talent qu’elle déploie dans le principal rôle. Elle y a mis toute son âme, tout son dévouement. Elle a su trouver des effets nouveaux et dramatiques sans cesser d’être naturelle et vraie : si parfois elle s’est trompée, on n’a pu s’en prendre qu’à son excessif désir de bien faire, de se surpasser même, et à la spontanéité de ses inspirations. Grâce à un rôle habilement tracé, Mme Ristori a donc pu achever sa troisième campagne à Paris sans trop s’apercevoir qu’il n’y a point ici un public assuré pour les apparitions périodiques de la tragédie italienne ; elle a pu même recommencer avec quelques chances de succès ses fructueuses tournées à travers l’Europe. Puisque j’ai touché ce point, je dirai ma pensée tout entière. Il y a deux ans, lorsque Mme Ristori nous est pour la première fois venue d’Italie, nous avons applaudi à cette apparition inattendue qui nous montrait dans une artiste admirablement douée les qualités que nous regrettions de ne pas trouver chez Mlle Rachel. Nous espérions que l’art dramatique, en Italie comme en France, profiterait de ce succès. Nous comptions sans cette fièvre des applaudissemens faciles qui, Mme Ristori nous l’a prouvé une fois de plus, n’épargne pas toujours les natures les mieux douées. C’est sous cette influence maligne que Mme Ristori, plus remarquable dans la comédie que dans la tragédie, a renoncé à un genre qui n’attire pas les étrangers[1]. C’est pour mieux garantir son succès qu’elle s’est entourée d’artistes vulgaires, dont l’insuffisance rebute les spectateurs et décourage les auteurs. Elle a fait plus : elle a exagéré les effets de sa pantomime, — la seule partie de son talent que nous puissions admi-

  1. A la veille de quitter Paris, Mme Ristori a eu cependant la singulière idée de jouer deux fois les Fausses Confidences, traduites en italien, au lieu de nous donner quelques-uns des meilleurs ouvrages de son répertoire national. C’est une fantaisie qui ne tire pas à conséquence, et dont la critique n’a pas à s’occuper. Marivaux sans le marivaudage — on devine ce que cela peut être.