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elles ne sont pas bizarrement injustes. Chose curieuse ! voici un homme plein de savoir et d’imagination, qui a passé sa vie à étudier l’histoire, et, dans un moment d’humeur légère, il lui échappera de dire que de toute l’ancienne monarchie il reste à la France un nom, Henri IV, plus deux chansons, celle de Gabrielle, doux rayon de paix après la ligue, et celle de Marlborough, vengeance innocente du pauvre peuple de Louis XIV contre ses revers. Ce qui reste de l’ancienne monarchie, c’est ce qui vit encore, c’est la France elle-même, façonnée par Henri IV et par Richelieu, par tous ceux qui ont étendu et fixé ses frontières. Arrivé à cette heure du commencement du xviie siècle, M. Michelet voit partout autour de lui la stérilité. La fécondité s’arrête, les caractères se rapetissent ; la grisaille envahit tout, l’art se décolore et se perd dans les pastorales de d’Urfé. Le tabac vient à son tour, le tabac, cette chose anti-sociale qui alourdit l’esprit, qui « supprime le baiser, » et qui développe les maladies, « surtout celle de cracher partout et toujours. » M. Michelet a mille traits ingénieux et piquans pour décrire au lendemain des grandes luttes cet état intermédiaire qu’il est bien dur pourtant de flétrir du nom de stérilité, lorsque de ce repos momentané de la nature vont sortir Condé, Turenne, Corneille, Molière, Pascal, les solitaires de Port-Royal, Colbert et le xviie siècle tout entier. C’est moins une période de stérilité absolue qu’une halte pendant laquelle la nature semble se recueillir pour se préparer à un effort nouveau et plus éclatant. Et nous, qui par tant de points ressemblons à ce xvie siècle finissant, nous qui avons aussi nos heures d’affaissement moral et intellectuel, verrons-nous s’ouvrir de tels horizons ? Aurons-nous notre xviie siècle, comme notre aîné eut le sien ? Le chapitre de M. Michelet sur la stérilité en 1610 inspire du moins cette pensée, qu’une lassitude momentanée n’est point la décadence, et qu’il n’est point de maladie irrémédiable pour une nation si prompte à se retrouver elle-même, à reprendre confiance en son génie et en ses destinées.

Quel serait le meilleur moyen d’aggraver ce mal de l’esprit, dont souffrent certaines sociétés, et qui risquerait à la longue de dégénérer réellement en stérilité ? Ce serait de propager les idées fausses et de surexciter les sentimens malsains, d’accoutumer le goût public à cette atmosphère énervante au sein de laquelle on le fait vivre trop souvent, d’arriver, par la plus singulière des méprises, à confondre l’art vrai et les œuvres maladives ou violentes. Le goût public peut être malade, il peut s’égarer ; parfois aussi il a comme des retours subits et inattendus quand on lui montre quelque invention juste et heureuse dans la poésie, dans le roman, comme au théâtre. Lorsque cet esprit charmant et si regrettable, Alfred de Musset, écrivait autrefois ses ingénieux et poétiques proverbes, que disait-on ? On assurait que toute cette grâce s’évanouirait à la scène, on n’était pas loin peut-être de mettre au-dessus de ce dialogue étincelant le vaudeville le plus obscur, et cependant, lorsque les comédies d’Alfred de Musset ont passé du livre sur le théâtre, le goût public s’est senti naturellement entraîné par ces œuvres où la fantaisie s’allie à l’observation. Il en a été de même des proverbes de M. Octave Feuillet, qui n’étaient point destinés au théâtre, et qui, transportés sur la scène, ont réussi sans effort par cet unique attrait de la distinction et de la grâce. M. Feuillet faisait une tentative plus sérieuse peut-être, il y a quelques jours, en livrant à la représentation publique, sur un théâtre