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Il y a, nous le disions, pour les hommes modérés dans les affaires de notre temps un rôle qui devient singulièrement difficile. Ce parti, plus nombreux qu’on ne croit, des esprits sensés et modérés est essentiellement conservateur ; il aime l’ordre dans les sociétés, dans la politique, et on ne peut dire malheureusement que son instinct conservateur ne soit soumis parfois à de rudes épreuves par les gouvernemens eux-mêmes. Il est libéral par ses goûts et par ses convictions, il croit ardemment à l’efficacité des institutions libres, et il est exposé à voir ces institutions subir des atteintes qui ne laissent point d’être graves, même en étant passagères. C’est ce qui arrive en Belgique, où vient d’éclater une crise constitutionnelle au milieu d’une explosion des passions publiques. Ces événemens peuvent être résumés en quelques mots. Le parlement discutait, comme on sait, la loi sur les établissemens de bienfaisance, cette loi devenue un véritable champ de bataille où s’est engagée la lutte la plus acharnée entre les partis. Par malheur, la passion qui a rempli cette lutte n’est point restée enfermée dans l’enceinte parlementaire. D’abord quelques manifestations populaires ont eu lieu autour du palais de la chambre contre la majorité, qui paraissait décidée à voter la loi, et en faveur des représentans qui la combattaient. Bientôt l’émotion a grandi et a dégénéré en scènes violentes de désordre. De Bruxelles, l’agitation s’est étendue et a gagné les principales villes de la Belgique. Partout ce sont à peu près les mêmes faits, les membres de la majorité de la chambre insultés, des vitres brisées, des couvens assaillis, quelques pauvres religieux meurtris. En présence de ces scènes d’agitation, qui ne faisaient que se multiplier et s’aggraver, le gouvernement, dans l’intérêt de la paix publique, s’est hâté d’enlever tout prétexte aux passions populaires en interrompant la discussion de la loi sur la bienfaisance et en suspendant la session des chambres. Depuis ce jour, l’agitation s’est calmée, et un autre mouvement a commencé, un mouvement de pétitions, signées, par la plupart des conseils communaux, contre la loi de la charité. C’est là ce qu’on peut appeler la suite des événemens jusqu’à l’heure actuelle. Il y a certainement un fait grave dont il n’est donné à personne de dissimuler le caractère périlleux : c’est cette lutte entre le pouvoir législatif et les passions extérieures, lutte étrange et inégale, où ce n’est pas le pouvoir législatif qui a le dessus jusqu’ici. Qu’on remarque bien en effet que la suspension des chambres est une trêve qui peut laisser aux passions le temps de se calmer, mais qui ne résout rien.

Revenir sur cette discussion, qui a placé la Belgique dans une situation si grave, ce serait assez inutile aujourd’hui sans doute. On peut aisément faire de la loi sur la bienfaisance l’unique coupable, rejeter sur elle toute la responsabilité des événemens. Si c’était un moyen de sortir d’embarras, l’expédient serait facile. Il est cependant un certain ensemble de circonstances qu’on ne doit pas oublier pour apprécier ce qu’il y a de caractéristique dans la crise que traverse la Belgique. En réalité, la loi sur la bienfaisance n’était ni une surprise, ni un coup de parti audacieux, ni une tentative dirigée contre la constitution. Elle avait été présentée il y a plus d’un an ; le pays la connaissait lors des dernières élections. En outre, tout le monde admettait la nécessité d’une législation nouvelle en présence d’interprétations contradictoires de la législation ancienne. Cela est si vrai, qu’un récent arrêté de