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rissent évidemment la pensée de rétablir au premier jour les institutions féodales ? Car enfin la masse des esprits qui sont vraiment libéraux en même temps que conservateurs, et qui n’appartiennent nullement aux opinions démocratiques, telles au moins qu’on les représente, cette masse est encore assez nombreuse et assez imposante en France. Ceux qui font ces belles expéditions démocratiques, qui appellent à leur secours tous les vieux souvenirs, toutes les vieilles déclamations, ceux-là n’ont pas fait certainement une réflexion qui peut venir aux intelligences simples, et qui n’est nullement propre à desservir le gouvernement dans les élections. Quand ils voient reparaître certains noms, certains hommes qui n’ont pas laissé les traces les plus triomphantes, les esprits simples sont portés à faire un raisonnement spécieux ; ils peuvent se dire : « Quoi donc ! ne sont-ce pas ces hommes qui nous ont conduits là où nous sommes ? Est-ce la peine de les relever de leur défaite et de leur fournir l’occasion de recommencer ce qu’ils ont si bien fait une fois ? » Et c’est ainsi que le gouvernement au fond peut vraiment n’avoir pas à se plaindre de cette nouvelle campagne démocratique. Il pourrait désirer être servi autrement ; en réalité, il ne le serait pas peut-être d’une façon plus efficace. On peut, ce nous semble, aller au même but d’une autre manière, par des amalgames qui n’offriraient au pays aucun symbole clair et précis, et qui ne seraient qu’une énigme de plus. — Mais alors, dira-t-on, que reste-t-il à faire ? — Nous ne nions pas assurément que le rôle des hommes sensés et véritablement libéraux ne soit difficile. Ils peuvent dans tous les cas rester fidèles à eux-mêmes, accepter les devoirs publics quand ils se présentent sans les rechercher puérilement, travailler à réveiller dans le pays ce sentiment viril qui relève la vie politique, et tenir toujours leur esprit et leur cœur à la hauteur de leurs espérances, au-dessus des fluctuations passagères des événemens. C’est là peut-être un rôle modeste quant aux résultats actuels, et efficace pour l’avenir, qu’il réserve et qu’il sauvegarde.

Les élections françaises ont cela de particulier, qu’elles sont aujourd’hui l’épisode le plus saillant de la vie intérieure telle qu’elle apparaît dans notre pays, de même que toutes les questions diplomatiques montrent la politique européenne dans ce qu’elle a de plus compliqué, de plus délicat et de plus difficile à saisir. Pour le moment, après toutes les difficultés qui ont été la suite de la dernière paix signée à Paris, la seule question qui reste est celle des principautés ; mais c’est la plus grave, c’est celle qui se débat encore en Orient, sur le Danube et à Constantinople. C’est véritablement une étrange affaire, qui est loin d’être arrivée à son terme, bien qu’elle vienne de passer par une des phases les plus critiques, et où l’on retrouve à chaque pas le double caractère d’une lutte de toutes les opinions dans la Moldo-Valachie et d’une lutte de toutes les influences diplomatiques à Constantinople. Quelque jour peut-être nous pourrons peindre au naturel les personnages qui ont un rôle dans cet épisode singulier de notre temps, et montrer quels moyens ont été mis en usage pour suspendre l’effet des résolutions de l’Europe. Une heureuse fortune nous fait arriver du fond des principautés assez de documens curieux, bizarres, et pourtant certains, qui nous laissent voir clair dans cette confusion, où plus d’une politique est tombée en défaut en