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des artistes de mérite, parmi lesquels était Sivori, qui vaut à lui seul tout un orchestre, M. de Stainlein a fait entendre, le 20 février, un quatuor pour instrumens à cordes, de sa composition, qui montre une assez grande habileté dans l’art d’écrire. À ce quatuor a succédé le trio en , pour piano, violon et violoncelle, de Mendelssohn, où Sivori a été admirable et a excité l’enthousiasme d’un public d’élite, qui ne s’était jamais trouvé à pareille fête. La séance s’est terminée par un andante d’un quatuor posthume de Schubert qui a été l’enchantement de la soirée. Je préfère cet andante, plein de sentiment et de charme, à bien des œuvres de Mendelssohn, dont le savoir ne tient pas lieu des idées qui lui manquent souvent. Schubert est un enchanteur de la famille des Weber, des Chopin et des Bellini. Le public a voulu réentendre ce morceau exquis, que Sivori a rendu avec la sensibilité de génie qui caractérise ce grand virtuose. La seconde séance a commencé par un trio, pour piano, violon et violoncelle, de M. de Stainlein, qui est bien supérieur au quatuor dont nous avons parlé. MM. Sivori et Lubeck ont exécuté ensuite la grande sonate, pour piano et violon, de Beethoven, dédiée à Kreutzer, dont le monde musical connaît la beauté. Les deux virtuoses ont été à la hauteur de la composition étonnante qu’ils interprétaient. M. Lubeck est un pianiste formidable par la vigueur, la netteté et la précision de son jeu. A la troisième séance, Sivori a été merveilleux dans le huitième quatuor de Beethoven, dont il a dirigé l’exécution comme s’il eût été l’auteur du chef-d’œuvre. La quatrième et dernière séance, qui a eu lieu le 3 avril, a commencé par une sonate, pour piano et violoncelle, de M. de Stainlein; puis on a entendu le quatuor en mi mineur de Mendelssohn, composition vigoureuse où Sivori a été étonnant. Sivori est le violoniste le plus remarquable qu’il y ait actuellement en Europe : il réunit à l’inspiration du génie italien la fermeté d’un virtuose du Nord. Quand les Italiens s’en mêlent, ils jouent du violon comme Paganini ou Sivori, de la contrebasse comme M. Bottesini; ils jouent enfin la tragédie comme Mme Ristori, c’est-à-dire qu’ils sont les premiers artistes du monde.

A côté des sociétés constituées pour l’exécution de la musique de chambre, qui toutes sont fréquentées par un public choisi et très empressé, de nombreux concerts isolés ont été donnés cette année comme les années précédentes. Nous citerons entre autres le concert de M. Henri Herz, le plus jeune des virtuoses phénomènes qui se sont épanouis du temps immémorial de la restauration. M. Herz ne vieillit pas, et laisse passer le temps sans y prendre garde. La soirée musicale donnée par Mlle Darjou, agréable personne dont le jeu froid et correct est bien un produit de l’école française, mérite d’être mentionnée, ainsi que le concert donné par M. George Pfeiffer, jeune homme intrépide qui joue du piano comme un maître, et qui n’a que les défauts de son âge, trop de verve, surtout quand il exécute la musique délicate de Chopin, qui ne veut pas être ainsi strapassée, et qui ne comporte pas une trop grande précision de rhythme. Puisque le nom de Chopin se présente sous notre plume, pourquoi ne dirions-nous pas que le concerto en mi mineur de sa composition, que nous avons entendu à la soirée de M. Pfeiffer, nous a paru vieilli et fléchissant sous le poids des années écoulées? Ce délicieux musicien, que la riche imagination de Mme Sand n’a pas craint d’égaler à Beethoven, sur-