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de l’ouvrage confus, Beethoven et ses trois styles, où il a entassé les effluves de son enthousiasme pour le grand musicien, c’est que M. de Lenz préfère les dernières compositions de Beethoven à toutes celles qui forment le partage de la première et de la seconde manière. Ce n’est pas que M. de Lenz ne reconnaisse lui-même que dans les dernières productions de l’auteur de la Symphonie avec chœurs (la neuvième), « on trouve souvent des choses bizarres et choquantes » pour l’oreille des simples amateurs de bonne musique; « mais, ajoute-t-il, s’arrêter à ces étrangetés serait se montrer indigne de savourer les beautés ineffables qu’on rencontre encore plus souvent dans les œuvres dernières de ce sublime génie, » dont la troisième manière « est un jugement porté sur le cosmos humain, et non plus une participation à ses impressions[1]. » Jamais M. Listz ne s’est mieux exprimé.

Pour M. Oulibichef, qui ne vise pas si haut que M. de Lenz, son contradicteur, il divise la vie et l’œuvre de Beethoven en trois périodes : les années comprises entre 1793 et 1804, où Beethoven est visiblement sous l’influence d’Haydn et de Mozart, et dont la Symphonie héroïque, qui marque l’émancipation de son propre génie, est l’œuvre capitale, — la deuxième période, renfermée entre 1804 et 1814, et qui donne naissance aux plus magnifiques productions, telles que la symphonie en ut mineur, la Pastorale, celle en la, y compris la huitième symphonie en fa. — La troisième période s’écoule de 1814 à 1827, elle se distingue par la Symphonie avec chœurs et les cinq derniers quatuors. On voit que la classification de M. Oulibichef est à peu près celle de M. Fétis, dont le nouveau biographe accepte assez volontiers les jugemens. M. Oulibichef analyse successivement les productions de Beethoven qui appartiennent à chacune des trois périodes, dont il s’efforce de caractériser le style par des observations judicieuses, puisées dans les lois essentielles de l’art. Nous ne suivrons pas M. Oulibichef dans les menus détails de son analyse de l’œuvre du grand maître; quelques observations suffiront pour donner une idée de l’esprit qui dirige sa critique.

M. Oulibichef commence l’analyse des compositions de Beethoven qu’il range dans la seconde période de sa carrière féconde par les réflexions suivantes : « Les circonstances biographiques qui dominent la seconde période de la vie de Beethoven se réduisent à une surdité croissante, aux progrès d’un amour malheureux, et au pouvoir funeste que son frère Charles acquit sur le moral et les déterminations du grand artiste. De ces trois causes de perturbation, l’une pouvait stimuler le génie de Beethoven ; les deux autres étaient évidemment de nature à réagir sur lui d’une manière défavorable. Le caractère du grand artiste s’altéra ; il perdait de plus en plus le sentiment de certains effets harmoniques et acoustiques... Peu à peu le caprice et la mauvaise humeur troublèrent les inspirations de Beethoven; des règles importantes furent mises en oubli; l’originalité véritable et difficile, qui consiste à trouver l’inconnu dans le beau, toucha par accès ou par boutades à la bizarrerie et à la déplaisance qui constituent l’originalité facile, à la portée de tout le monde. Il arriva aussi au grand artiste de se complaire dans ses idées, de s’oublier dans leur développement jusqu’à perdre de vue le point essentiel en toutes choses, je veux dire le trop et le trop peu, ce re-

  1. Voyez les analyses des sonates de piano, p, 2.