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taine énergie dans le sein même de cette école, par une sorte de révolte du sens moderne, contre cette prétendue nouveauté, qui réalisait la singulière anomalie d’un retour à ce qu’il y avait de plus ancien. Nous trouvons un exemple de ce contraste dans deux tableaux fameux de l’époque dont nous parlons, le Bélisaire de David et celui de Gérard.

Dans le premier de ces ouvrages, conçu comme un bas-relief, il y a peu de chose pour l’émotion qu’on est en droit de se promettre d’un pareil sujet. L’exécution, très achevée dans le sens académique, manque de prestige et de charme. Le Bélisaire est un vieillard vulgaire; l’enfant a la grâce de son âge, mais ne dit rien à l’esprit : rien, même dans l’étonnement de ce soldat qui contemple son général réduit à cet état d’abaissement, ne touche en faveur d’une si grande infortune. Ni le fond, ni les accessoires, ni le casque tendu à l’obole, ne peuvent distraire de l’insipidité qui résulte de tant de sécheresse.

Gérard au contraire cherche, pour animer son sujet, une route tout opposée. A l’aridité de la composition, à cette absence d’intérêt, résultant en grande partie, chez David, de l’inutilité des accessoires, c’est dans un accessoire principalement qu’il semble résumer toute la pensée de son tableau : je veux parler de ce serpent entortillé à la jambe du jeune guide, lequel, endormi ou expirant de fatigue, repose dans les bras de l’illustre aveugle. Tout dans sa composition présente l’idée de l’abandon et de la solitude : le héros côtoie un précipice, et l’on ne découvre dans le ciel que les teintes sinistres du couchant.

Une telle peinture remplirait probablement toutes les conditions pour émouvoir, si l’idée évidente de la recherche ne s’y faisait par trop sentir. Le sort d’un illustre guerrier réduit à la condition de mendiant, privé de ses yeux par le tyran auquel il a prodigué ses services et forcé de s’appuyer sur un faible enfant, présente une image suffisamment poétique et intéressante. Elle ne pouvait que perdre par une circonstance aussi mesquine que celle de ce serpent. Je critique de même ce guide défaillant porté par celui qu’il est censé devoir conduire : l’intérêt ne sait plus où se prendre.

C’est un peu le défaut du génie moderne de s’attarder dans des détails oiseux et de raffiner sur tout, même dans des sujets terribles. Notre grand Poussin, le peintre philosophe par excellence (et on ne l’a peut-être appelé ainsi que parce qu’il donnait à l’idée un peu plus que ne demande la peinture), est fréquemment tombé à cet égard dans l’affectation. Son fameux Déluge, tant admiré des gens de lettres, en est une preuve. Cette dernière famille du genre humain restée toute seule sur l’immense solitude des eaux et luttant dans un frêle esquif contre la destruction, le serpent (encore un serpent), auteur des