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De combien s’en est-il fallu que l’Europe ne se figurât un matin que l’antiquité allait être égalée dans les poèmes d’un nouvel Homère, récemment sorti tout armé des bruyères et des rochers de la Calédonie? L’apparition des prétendues poésies d’Ossian l’ut un des grands événemens de la fin de l’autre siècle. Cet Ossian arrivait justement à une époque de scepticisme, avec ses dieux, ses guerriers, ses héroïnes touchantes, enfin avec un merveilleux complet. L’enthousiasme fut presque général, et l’on peut avouer qu’il y avait dans ces poèmes de quoi justifier une certaine admiration. Napoléon lui-même, aussi bon juge qu’un autre, ne leur refusa pas son estime, et les prit pour bons, sans s’inquiéter de leur ancienneté dans le monde; mais quand on vint à s’apercevoir que le fils de Fingal n’était que le fils de l’Écossais Macpherson, comme c’était à titre de primitif qu’il avait fait son chemin, il se vit renié et presque bafoué : il lui fallut rentrer dans ses nuages et dans l’obscurité dont on l’avait tiré indiscrètement. Il eut le sort de ces valets de comédie qui ont usurpé les bonnes grâces d’une héritière sous l’habit à paillettes de leur maître, et qu’on fait disparaître à la fin de la pièce, quand la fraude se découvre.

Cette tentative elle-même était toute moderne. Par une réaction naturelle, on se réfugiait dans cette fantasmagorie de mélancolie et de brouillards en sortant d’une époque d’afféterie. Cet Ossian nuageux a marqué son passage dans la littérature de notre temps. Cette impulsion s’est communiquée de même aux autres arts, et notamment à la peinture, qui suit avec plus de facilité les variations de la fantaisie, et plus légitimement que sa sœur la sculpture. La peinture dispose de tous les prestiges de la couleur et de ceux de la perspective, ignorée des anciens; elle réunit la précision et le vague, tout ce qui charme et tout ce qui frappe. On peut dire de la peinture comme de la musique qu’elle est essentiellement un art moderne. Toutes ces ressources que nous venons d’indiquer lui permettent de s’adresser aux sentimens les plus divers. Quant à la musique, il paraît surabondant d’indiquer combien c’est un art nouveau, et combien les anciens ont été loin de se douter de ses ressources. Dans la sculpture au contraire, il semble que les anciens ont fait tout ce qu’on peut faire : ils ont produit des ouvrages parfaits, et ces ouvrages sont des modèles dont il est bien difficile de s’écarter à cause de la rigueur des lois qui fixent les limites de l’art.

Le paganisme donnait au sculpteur une ample carrière : le culte de la forme humaine s’y confondait avec celui de tous les dieux. Tout devenait matière à l’étude chez des peuples où l’on trouvait le nu à chaque pas, dans les rues, au gymnase, dans les bains publics. C’est ainsi que les anciens sculpteurs se familiarisaient avec les plus beaux types, et prenaient sur le fait ces attitudes simples et natu-