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construction d’une église magnifique, et en surveille l’exécution avec beaucoup de zèle.

La femme de Mikhaïl Maksimovitch, ignorant l’affreuse conduite du major, vit paisiblement dans sa maison de Tchourasovo, quand un jour elle reçoit d’une de ses parentes, femme âgée qu’elle respecte beaucoup, une lettre dans laquelle le genre de vie que mène Mikhaïl Maksimovitch et les cruautés qu’il exerce sont décrits sans la moindre retenue. En finissant, sa vieille parente ajoute que le major est à Parachino, et vient de faire battre un de ses laquais, Ivane Anoufrief, au point que celui-ci est en danger de mort. À cette nouvelle, Prascovia Ivanovna devient presque folle; mais elle se remet bientôt et part immédiatement pour Parachino avec son domestique et une femme de chambre. L’idée de prendre quelques précautions pour elle-même ne lui vient point à l’esprit; elle s’est dit que de tels renseignemens sont exagérés. Du reste, comme son mari n’a pas cessé de la traiter avec beaucoup d’égards, elle pense que sa présence seule suffira pour le rappeler à de meilleurs sentimens, et qu’il n’hésitera pas à monter en voiture pour revenir avec elle à Tchourasovo. Un terrible mécompte l’attend.


« Lorsqu’elle arriva à Parachino, il était déjà nuit. Elle laissa sa calèche à l’entrée du village, et s’avança, suivie de sa femme de chambre et d’un laquais, sans être reconnue (on ne la connaissait presque point), jusqu’à la cour de la maison seigneuriale. Elle y entra par la porte de derrière, s’approcha d’un corps de bâtiment d’où s’élevaient des cris accompagnés de chants et de rires, et en ouvrit la porte d’une main assurée... Son mari buvait en nombreuse compagnie, et se trouvait dans un état d’ivresse beaucoup plus marqué que de coutume. La chemise de soie rouge qu’il portait était entr’ouverte, il était assis, tenant un verre de punch d’une main, et défiait de l’autre une jeune femme qui était assise sur ses genoux. Autour de lui, des laquais à moitié ivres, des femmes de chambre et des paysannes dansaient en chantant. A peine Prascovia Ivanovna eut-elle entrevu cette scène révoltante, qu’elle faillit tomber sans connaissance. Elle comprit toute l’étendue de son malheur, referma la porte sans avoir trahi sa présence, car la chambre était pleine de fumée, et se retira dans la cour. Un domestique de Mikhaïl Maksimovitch, homme d’un âge mûr, et qui, fort heureusement pour elle, n’était point ivre, montait l’escalier. Il reconnut sa maîtresse et s’écria : — N’est-ce point vous, notre mère, Prascovia Ivanovna? — Mais elle lui posa la main sur la bouche, et, l’ayant entraîné au milieu de la cour, elle lui dit d’un ton sévère : — Voilà donc comment vous vous conduisez loin de moi ! Mais cette vie-là aura une fin. — Le domestique se jeta à ses pieds et lui dit en pleurant : — Croyez-vous donc que nous en soyons contens ? Nous sommes forcés d’obéir. C’est Dieu qui vous envoie. — Prascovia Ivanovna lui ordonna de se taire et lui demanda des nouvelles d’Ivane Anoufrief (le domestique en danger de mort). Il était encore vivant, et elle se fit conduire vers lui. Il était couché dans une isba située au fond de la basse-cour. C’est à peine s’il