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eût expressément recommandé en partant de ne l’y autoriser sous aucun prétexte. Le jeune major plaisait beaucoup à Anna Vassilievna ainsi qu’à ses filles, et elle ne voyait point d’un mauvais œil son union avec la jeune pupille de Stépane Mikhaïlovitch. Les cadeaux que le jeune major lui envoya achevèrent de la séduire; il fut convenu que, pour mettre toute responsabilité à couvert, Mme Bakhteïef lui écrirait une lettre dans laquelle elle se dirait en danger de mort. Comment résister aux dernières volontés d’une mourante? La jeune Prascovia partit pour rendre visite à la prétendue malade, et quelques jours après elle fut mariée avec Mikhaïl Maksimovitch, qui s’était empressé d’accourir. Sur ces entrefaites, Anna Vassilievna reçut une réponse de son mari, qui lui ordonnait de ramener immédiatement sa pupille. La pauvre femme se repentit amèrement d’avoir cédé aux instances des Bakhteïef; mais le mal était irréparable : il ne lui restait plus qu’à attendre avec résignation le châtiment que son mari lui infligerait à son retour, et elle se prépara à l’affronter courageusement. Lorsque Stépane Mikhaïlovitch revint et lui demanda pourquoi il ne voyait point sa pupille, Anna Vassilievna et ses filles se jetèrent à ses pieds et lui annoncèrent le mariage; mais elles affirmèrent que les Bakhteïef l’avaient conclu sans leur consentement. Le seigneur d’Aksakova se rendit immédiatement chez les Bakhteïef et les accabla d’injures. La vieille Mme Bakhteïef n’en fut nullement intimidée, elle essaya même de lui imposer silence en lui rappelant qu’elle était d’aussi ancienne lignée que lui et qu’il n’avait point le droit de la traiter ainsi. Enfin elle eut l’imprudence d’ajouter, dans la chaleur de la discussion, qu’Anna Vassilievna et ses filles s’étaient entendues avec elle pour hâter cette union. Le seigneur d’Aksakova ne lui en demanda pas davantage ; il rentra chez lui, écumant de rage, arracha à sa femme et à ses filles l’aveu de leur complicité, leur ordonna de renvoyer immédiatement les cadeaux du major, et les maltraita à tel point que ses filles aînées en gardèrent le lit pendant plusieurs semaines, et qu’Anna Vassilievna avait encore, un an après, la tête couverte de bandages. Pendant longtemps, Stépane Mikhaïlovitch ne voulut point entendre parler d’un rapprochement avec les jeunes mariés, il avait même défendu qu’on prononçât leur nom en sa présence. Cependant, lorsqu’il apprit qu’ils faisaient bon ménage, il se montra disposé à leur accorder son pardon, et témoigna même le désir de voir Prascovia Ivanovna; elle s’empressa de venir se jeter à ses pieds, et Stépane Mikhaïlovitch, touché de ses larmes, l’autorisa à lui amener son mari dans un an, si elle continuait à être heureuse avec lui. Ce terme écoulé, Prascovia vint en effet avec le major à Aksakova, et Stépane Mikhaïlovitch parut très satisfait du changement qui s’était opéré chez, Mikhaïl