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tout en cherchant à conserver le tour simple et expressif qui distingue la plume du conteur russe. M. Aksakof, qu’on ne l’oublie point, n’a pas écrit un roman : ce qu’il nous donne, c’est une chronique, la chronique d’une famille russe sous Catherine II, et à l’histoire de cette famille, qui est la sienne, l’auteur ajoute quelques détails sur son éducation et sa jeunesse. Plaçons-nous maintenant au milieu des personnages dont il trace le portrait. Ce qu’ils nous apprendront sur eux-mêmes nous éclairera peut-être sur l’avenir du mouvement de réforme commencé avec notre siècle, mouvement qui tire sa principale force d’un sentiment plus vrai, d’une connaissance plus complète des traditions et des coutumes de l’ancienne société russe. A défaut de l’intérêt d’une action suivie, les récits de M. Aksakof ont celui de tableaux fidèles, et des faits caractéristiques servent en quelque sorte de commentaire à chacun des portraits réunis dans son livre.


I.

La Chronique, qui forme la première partie de l’ouvrage de M. Aksakof, se divise elle-même en plusieurs fragmens, dont le premier nous met en présence du grand-père de l’auteur. L’aïeul de M. Aksakof est le type parfait de l’ancien propriétaire russe, vivant au milieu de ses paysans, fier de son antique origine et nourrissant un secret dédain pour la nouvelle race d’hommes qui s’élève autour de lui. Après avoir servi quelque temps dans l’armée, Stépane Mikhaïlovitch s’est retiré au fond du gouvernement de Simbirsk, dans un domaine peuplé de cent quatre-vingts paysans et donné à ses ancêtres par les tsars. On l’y trouve établi au commencement du règne de l’impératrice Catherine, avec sa famille, composée de sa femme, Anna Vassilievna, et de quatre enfans, dont un fils. L’administration de cette propriété est sa principale occupation, et Stépane Mikhaïlovitch a toutes les qualités physiques et morales que réclame une pareille tâche.


« Stépane Mikhaïlovitch était d’une taille au-dessous de la moyenne; mais sa poitrine saillante, ses épaules d’une largeur peu commune, ses mains aux veines gonflées et son corps musculeux lui donnaient une apparence athlétique. Lorsque dans sa jeunesse il se livrait, avec ses camarades du régiment, à des exercices d’adresse, ceux-ci le saisissaient souvent tous à la fois et se cramponnaient après lui; mais il les jetait bas en un tour de main, et ils tombaient autour de lui comme tombent, au premier souffle, les gouttes de pluie qui chargent les feuilles d’un chêne. Une figure régulière, de grands yeux d’un bleu foncé, qui s’enflammaient au moindre mouvement de colère, mais dont l’expression était pleine de douceur lorsque le calme succédait à la pas-