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Le 11, nous allions camper à Gueddila, riante oasis située au-dessus de celle de Djemora, qui compte près de cent mille palmiers. En atteignant le lendemain l’oasis des Beni-Souck, un spectacle aussi charmant qu’inattendu s’offrit à nos regards : nous nous trouvions tout à coup au milieu de la plus riche végétation, au sortir des affreux rochers à travers lesquels nous n’avions cessé de cheminer depuis notre départ. Dans cette oasis, que baigne l’Abdi, les habitans font couler l’eau d’un côté de la rivière à l’autre au moyen de troncs de dattiers creusés et soutenus par des poteaux. Des vignes et d’autres plantes s’enlacent à ces aqueducs aériens et jettent entre les arbres des deux rives une arcade de verdure, de fruits et de fleurs. Le torrent au milieu duquel la colonne se frayait un passage formait çà et là de larges miroirs qui répétaient à nos pieds cette magnifique décoration. A Narah, nous laissions l’hiver; nous trouvâmes l’été à Gueddila, et surtout à Branis, où nous bivouaquâmes le 12.

C’est au mois de mai que le voyageur, allant prendre l’Abdi à sa source et le descendant jusqu’à l’endroit où il se perd dans les sables, près de Biskara, serait témoin de merveilleux contrastes. Au pied du Tenüt-Ressas, la neige couvre encore les champs; dans les jardins de Bahli, plus de neige, mais le sol est sans végétation; à Menah, la terre prend déjà cette teinte verte du blé qui commence à pousser; à Djemora, les tiges sont élevées, les épis se forment; à Branis, ils commencent à jaunir; à Biskara, on moissonne. Ainsi, dans l’espace de deux journées de cheval, on verrait, comme dans un diorama, se succéder toutes les saisons.

Le 13, la colonne quitta la vallée de l’Abdi, en laissant Biskara sur notre gauche, pour gagner El-Outaïa, un des premiers postes que l’on rencontre à l’entrée du désert. El-Outaïa a été privé, par les malheurs de la guerre, de son antique forêt de palmiers, et n’offre plus qu’un triste et misérable aspect. Nous y apprîmes du vieux Dheïna, un de nos plus fidèles serviteurs dans ces lointains parages, que dans la nuit du 5 au 6 il avait observé dans l’Aurès une grande teinte rouge de sang. Déjà l’on faisait courir des bruits fâcheux sur l’expédition. Dheïna fit éveiller tout son monde et leur dit : « Regardez; voici Narah qui brûle! Allons dormir tranquilles sous nos tentes, la paix est rétablie dans le pays. »

D’El-Outaïa, nous repassâmes par El-Kantara. Longtemps avant d’atteindre ce défilé, une des portes du désert, nous aperçûmes les montagnes du Tell, que couronnaient de gros nuages amoncelés sur leurs hautes cimes, lorsqu’un ciel d’une pureté éclatante éclairait de ses feux les autres points de l’horizon. Les chefs arabes qui nous accompagnaient nous rappelèrent à ce sujet une de leurs lé-