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glissé dans les rochers à la suite de nos soldats pour être témoin du combat, et qui, pris pour un ennemi, faillit, malgré ses innocentes lunettes de maître d’école, périr victime de sa curiosité.

Jusqu’à trois heures du soir, on occupa une partie des troupes à la destruction des villages et des fertiles jardins qui avaient été la richesse des Kabyles de Narah. La prise de la ville fut annoncée par vingt et un coups de canon qu’on dirigea contre les maisons pour en activer l’incendie. Cette décharge retentissant dans ces hautes montagnes, portée au loin par leurs bruyans échos, annonçait à tout le pays notre victoire, qui fut saluée par les acclamations de notre petite armée.

Quand tout fut fini, les trois colonnes redescendirent ensemble les pentes qui conduisaient au camp par le chemin direct de Menah, emmenant avec elles un convoi de nos morts et de nos blessés. Ces soldats qui avaient passé une partie de la nuit à marcher, la matinée à combattre et à vaincre, la journée à tuer, incendier et dévaster, rentraient silencieux, comme si la fatigue de cette longue marche et le souvenir des cruelles émotions d’une pareille lutte eussent comprimé dans leurs cœurs ces explosions de joie qui suivent ordinairement le succès, et qui rendent les troupes si bruyantes et si gaies. En arrivant au camp, à la nuit, chacun pensait à prendre un repos bien nécessaire; mais le temps et les ressources ne permettaient point ces repas dont le soldat goûte si bien en de pareils momens l’influence réparatrice, heureux encore si son tour de service ne l’oblige pas à veiller aux avant-postes et aux grand’gardes pour ceux qui dorment dans le camp après une journée d’épreuves et de combats!

Le lendemain, on enterra les morts, parmi lesquels se trouvaient deux officiers, tués des premiers à l’assaut de Narah. On acheva de détruire les plantations, peut-être aurait-on mieux fait de les confisquer au profit de nos alliés de Menah, et on fit sauter les blockhaus, dernières traces matérielles de la défense. Vers quatre heures du soir, la neige commença à tomber abondamment, et couvrit toutes les terres. Un peu plus tôt, nous étions prisonniers dans ces montatagnes infranchissables, et la saison rendait impossible ce coup de main, si glorieux pour nous, si nécessaire pour la paix. Nous avions eu l’heureuse chance de profiter du dernier beau jour. C’est ainsi que la Providence joue constamment le grand rôle dans les vicissitudes de la guerre; ce n’est pas sans raison qu’en invoquant sa toute-puissance, on l’appelle le Dieu des armées.

Nous fûmes retenus par le mauvais temps jusqu’au 10 janvier. Le colonel Canrobert en profita pour régler les affaires de Menah et du pays vaincu. Depuis notre succès, tous les principaux chefs étaient à