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col que l’on devait franchir, si nous ne réussissions pas d’un seul coup de main.

Vers cinq heures, la deuxième colonne, sous les ordres du commandant Bras-de-Fer, formée du 8e bataillon de chasseurs à pied, du 1re bataillon de zouaves, de trente sapeurs du génie, d’une section d’artillerie de montagne, d’un détachement de chasseurs à cheval et de spahis, se mettait en mouvement vers le sentier qui gravit les pentes de la rive droite du ravin. L’ambulance et quelques mulets haut le pied venaient à la suite. Il y avait à franchir de ce côté l’arête flanquée par les blockhaus en pierre, puis à escalader le rocher du Tanout. L’ordre était donné de filer sans s’arrêter et sans s’occuper des défenses; l’arrière-garde devait faire main-basse sur les hommes qui s’y trouveraient. C’était une scène saisissante que cette marche dans l’ombre, à travers un pareil pays, à pareille heure. Le temps était froid, mais sec; la plupart des hommes toussaient, les armes cliquetaient. On se demandait, non sans anxiété, comment avec un pareil bruit on parviendrait à tromper l’attention vigilante de l’ennemi; mais en se portant à deux cents pas sur notre flanc, l’on n’entendait plus qu’un bruit sourd, vague, que les vedettes kabyles pouvaient prendre pour le murmure de l’Abdi.

Bientôt on arrive au pied du mamelon où était le premier poste; on monte en silence, à pas de loup : rien ne bouge. On rase le deuxième, le troisième blockhaus : rien... Tout est désert. L’ennemi a jugé l’attaque trop difficile par le Tanout, et a cru que nous ne pouvions la tenter que par la route de Menah à Narah. Il s’est d’ailleurs souvenu que les troupes de Carbuccia avaient suivi cette route quelques mois auparavant, et, persuadé que nous ferons de même cette fois, ou plutôt que, suivant la parole du colonel Canrobert, nous reviendrons à l’époque de la moisson, il a dégarni ses embuscades. Nos soldats atteignent donc sans temps d’arrêt la base du rocher. La voie est si étroite, si rapide, que le cavalier est obligé de mettre pied à terre et de tenir son cheval par la bride : c’est un véritable escalier dont les degrés sont taillés dans la montagne.

Dans le même temps, la troisième colonne, qui obéit au chef de bataillon de Lavarande[1], ayant auprès de lui son adjudant-major Troyon[2], chemine sur les escarpemens de la rive gauche, de manière à prêter le secours de ses feux à celle qui s’élève sur la droite. Elle comprend le 2e bataillon de zouaves, le 1er bataillon du 8e de ligne, renforcés de la compagnie de grenadiers du 2e bataillon, d’une pièce de montagne, et de cinquante chasseurs d’Afrique.

  1. Depuis général, tué devant Sébastopol.
  2. Depuis chef de bataillon, tué à la bataille de l’Alma.