Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/869

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

inspirer une confiance trompeuse. « Je sais mieux que personne, leur dit-il, que je ne puis vous attaquer dans votre position de Marah, attendu que je n’ai ni assez de monde, ni assez de canons; mais je détruirai vos jardins, et dans trois mois, quand vos arbres seront couverts de fruits et vos champs de récoltes, je reviendrai avec des forces plus considérables, et je ruinerai tout. » Puis, leur montrant une baïonnette-sabre de nos chasseurs à pied : « Comment croyez-vous pouvoir jamais résister à des armes pareilles, maniées en nombre suffisant par ceux qui les portent? » Ces paroles, loin de convaincre des chefs fanatiques, leur donnèrent, comme on le voulait, l’idée de notre impuissance momentanée dans l’offensive, et ils sortirent de notre camp avec ces airs de dédain superbe particuliers à un ennemi qui se croit invincible. Le !i au matin, toutes les dispositions étaient prises pour la journée du lendemain, qui devait être décisive.

Trois villages situés dans une gorge profonde, dont les eaux descendent à la rive gauche de l’Oued-Abdi, forment la ville de Narah (ville de feu). Les deux moins importans, ceux des Ouled-Sidi-Abdallah et des Dar-ben-Labareth, s’allongent à droite et à gauche sur les flancs de la montagne. Au milieu, sur un rocher qui surgit du fond du ravin, comme une sorte d’île, à près de 200 pieds au-dessus du thalweg, se groupent serrées les cent maisons du village principal, Tenüt-el-D’jemma. C’est la situation isolée et inaccessible de cette espèce de citadelle, qu’ils croyaient inexpugnable, qui avait donné aux gens de cette petite république une confiance bien chèrement expiée.

Avant d’arriver aux villages supérieurs, à une élévation de plus de 500 mètres au-dessus de l’Oued-Abdi en partant du bas de la vallée, il faut gravir des pentes en gradins, dont les dernières sont de véritables escaliers étroits et tortueux taillés dans le roc. Des tours en pierres, solidement construites et disposées avec une certaine habileté, couvrent et commandent tous les abords du ravin, dans le lit duquel s’étagent avec un art remarquable de verts et riches jardins. Parvenu au haut de ces positions culminantes, dont le sommet est le mont Tanout, qui surplombe la ville, on voit celle-ci dans le fond d’une sorte d’entonnoir, et c’est sous le feu des habitans qu’il faut descendre presqu’à pic et à découvert.

Trois chemins conduisent à Narah de la vallée de l’Oued-Abdi. L’un, sur la rive droite, escalade des mamelons escarpés et rocailleux, où le fantassin marche péniblement en s’aidant de ses mains, où le cavalier traîne son cheval derrière lui. Les deux autres, qui ne sont guère plus praticables, suivent les contreforts de la rive gauche et aboutissent aux maisons des Ouled-Sidi-Abdallah.