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qui aient été accomplies en Afrique par nos fantassins, ces marcheurs incomparables. Enlevant sa petite troupe après ne lui avoir donné qu’un moment de repos, le colonel Carbuccia escaladait la terrasse, presque à pic, qui sépare Narah de Menah, arrivait devant les murs de la ville insurgée, y lançait quelques obus, et revenait avant la nuit camper dans la vallée. Le lendemain, il la remontait et rentrait à Batna après avoir montré ses baïonnettes à toutes les tribus de l’Abdi, surprises de cette brusque apparition. Narah, il est vrai, ne s’était pas soumise : en nous retirant aussi promptement, nous laissions les choses à peu près dans le même état ; mais le mouvement insurrectionnel ne se propagea point. Il fallut la grande révolte qui s’alluma dans le sud de la province de Constantine pour tout incendier.

Nulle part plus qu’à Narah la cause du marabout Bou-Zian, le héros de la défense de Zaatcha, n’excita d’ardentes sympathies. Les habitans des oasis des Ziban et ceux des monts Aurès ont la même origine berbère ; d’autres liens les unissent aussi. Les Ouled-Sada, nom des gens de Narah, avaient autrefois envoyé une petite colonie à Zaatcha, dont la zaouia[1], qui a joué un si grand rôle dans le siège, s’appelait Sidi-Sada. Il y avait entre les deux villes une sorte de parenté. Dans différentes affaires où les habitans de Zaatcha se trouvèrent engagés contre nous, ceux de Narah figurent comme auxiliaires et se font bravement tuer dans leurs rangs. Nous ne connaissons pas exactement leur participation aux luttes sanglantes du siège de Zaatcha, mais nous savons qu’ils y avaient envoyé avec leurs combattans des convois de munitions et de vivres. Les Ouled-Sada de la montagne se croyaient solidaires des Ouled-Sada de la plaine. La gloire de Zaatcha était la leur, et ils se battirent avec désespoir. Après et malgré la destruction de la ville, les meneurs de la révolte disaient qu’en annonçant la mort de Bou-Zian et de Sidi-Moussa, on s’était trompé deux fois, et qu’on avait exposé comme têtes de ces glorieux chefs celles de combattans vulgaires. Bou-Zian, croyait-on, allait reparaître et relever le drapeau de la guerre sainte abattu dans le sang des martyrs de Zaatcha. Le crédule fanatisme des Kabyles était enflammé par ces récits mensongers. Il était évident que la poudre allait parler de nouveau.

Le colonel Canrobert, chef de la subdivision, conduisant lui-même la colonne expéditionnaire, se mit en marche le 25 décembre 1849. Nos troupes ne pouvaient pas avoir un meilleur guide que le jeune colonel des zouaves, illustré par ses récens succès militaires, déjà connu des Arabes par l’autorité qu’il avait exercée à une autre

  1. A la fois couvent et collège, habité par des religieux guerriers et savans.