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encore la place marquée par des ruines, et le grand établissement de la troisième légion Auguste à Lambessa, au pied des pentes nord de l’Aurès, était admirablement situé pour contenir ces populations barbares. De Lambessa, en deux marches, on atteignait la tête des vallées de l’Oued-Abiad et de l’Oued-Abdi.

Les Romains s’étaient avancés aussi dans l’intérieur. Où n’avaient-ils pas pénétré? En 1850, une colonne française, sous les ordres du général Saint-Arnaud, descendait, à travers mille difficultés, le lit de l’Oued-Abiad. Elle venait de franchir les affreuses gorges de Tiranimin, et chacun pensait avec orgueil que c’était la première fois qu’une expédition régulière traversait ce pays inconnu, lorsqu’on se trouva devant une inscription latine gravée dans le roc. Elle apprenait à nos soldats qu’ils avaient été devancés par une nombreuse armée romaine qui, du temps des Antonins, avait franchi cet impraticable passage, grâce aux travaux des cohortes auxiliaires.

Plus tard, on retrouve encore dans l’histoire de l’Afrique la trace des incursions et des luttes dont l’Aurès a été le théâtre ou le point de départ. Lors du bouleversement produit par la conquête vandale, les populations des montagnes s’affranchirent complètement et se répandirent dans les plaines de la Numidie. A la restauration byzantine, Salomon, le plus habile lieutenant de Bélisaire, fit deux expéditions dans le nord de l’Aurès, en 535 et 539. Il y battit le fameux chef Jauda. D’après l’historien Procope, l’Aurès pouvait mettre en campagne 2,000 cavaliers et 30,000 fantassins. Procope comprenait, il est vrai, sous le nom d’Aurès, non-seulement le groupe central, auquel le nom est resté, mais encore toutes les branches qui s’en détachent, la chaîne des Ouled-Sultan, du Metléli et du Djebel-Amar à l’occident, le Djebel-Chechar, le Djebel-Zarif à l’orient.

Le voyageur arabe Benlakahl, dans le Xe siècle, donne à l’Aurès une longueur de 12 journées. — Ses habitans sont méchans, dit-il, et oppriment les Berbères du voisinage. Marmol enfin ne les traite pas mieux : « Les habitans sont des sauvages dont toute la félicité consiste à voler sur les chemins et à tuer les passans. »

De cette race cruelle et guerrière, nos prédécesseurs en Afrique, les Turcs, ne vinrent jamais entièrement à bout. Ils n’exerçaient sur elle qu’une domination précaire. La contribution qu’ils en tiraient était un simple signe de vassalité. La riche vallée de l’Abdi payait seulement 1,100 baceta, c’est-à-dire 2,750 francs, encore pas en argent; elle s’acquittait en fournissant des mulets. Lors du recouvrement de l’impôt, la colonne turque, composée de 125 fantassins et du goum des Ouled-Saïd et des Ouled-Fahdel, conduits par le chef de la famille des Ouled-Kassem, la seule famille noble de cette région,