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« Le soleil tombait, vêtissant d’or et de pourpre reflétés — les nuages qui entouraient le cortège de son trône occidental. — Alors se leva le soir tranquille, et le crépuscule gris — habilla toutes les choses de sa grave livrée. — Le silence le suivit, car oiseaux et bêtes, — les uns sur leurs lits de gazon, les autres dans leurs nids, — s’étaient retirés, tous, excepté le rossignol qui veille. — Tout le long de la nuit, il chanta sa mélodie amoureuse. — Le silence était charmé. Bientôt le firmament brilla — de vivans saphirs. Hespérus, qui conduisait — l’armée étoilée, s’avançait le plus éclatant, jusqu’à ce que la lune — se leva dans sa majesté entre les nuages, puis enfin, — reine visible, dévoila sa clarté sans rivale, — et sur l’obscurité jeta son manteau d’argent. »


Les changemens de la lumière sont devenus ici une procession religieuse d’êtres vagues qui remplissent l’âme de vénération. Ainsi sanctifié, le poète prie. Debout auprès du berceau nuptial d’Ève et d’Adam, il salue « l’amour conjugal, loi mystérieuse, vraie source de la race humaine, par qui la débauche adultère fut chassée loin des hommes pour s’abattre sur les troupeaux des brutes, qui fonde en raison loyale, juste et pure, les chères parentés et toutes les tendresses du père, du fils, du frère. » Il le justifie par l’exemple des saints et des patriarches. Il immole devant lui l’amour acheté et la galanterie folâtre, les femmes déshonorées et les filles de cour. Nous sommes à mille lieues de Shakspeare, et dans cette louange protestante de la famille, de l’amour légal, a des douceurs domestiques, » de la piété réglée et du home, nous apercevons une nouvelle littérature et un autre temps.

Étrange grand homme et spectacle étrange ! Fondé sur deux facultés contraires, le raisonnement solide et l’imagination enthousiaste, il dérive l’une de l’autre, et monte par la logique à l’exaltation. Très fier, très rude, très ferme, il est chimérique, passionné, généreux, et serein comme tout raisonneur retiré en lui-même, comme tout enthousiaste insensible à l’expérience et épris du beau. Jeté par le hasard d’une révolution dans la politique et dans la théologie, il réclame pour les autres la liberté dont a besoin la raison puissante, et heurte les entraves publiques qui enchaînent son élan personnel. Par sa force d’intelligence, il est plus capable que personne d’entasser la science ; par sa force d’enthousiasme, il est plus capable que personne de sentir la haine. Ainsi armé, il se lance dans la controverse avec toute la lourdeur et toute la barbarie du temps ; mais cette superbe logique étale son raisonnement avec une ampleur merveilleuse, et soutient ses images avec une majesté inouïe. Cette imagination exaltée, après avoir versé sur sa prose un flot de figures magnifiques, l’emporte dans un torrent de passion jusqu’à l’ode furieuse ou sublime, sorte de chant d’archange adora-