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plus grandes choses que les autres, je répondrais que c’est parce qu’il a un plus grand cœur.

De là le sublime de ses paysages. Si l’on ne craignait le paradoxe, on dirait qu’ils sont une école de vertu. Spenser est une glace unie qui nous remplit d’images calmes. Shakspeare est un miroir brûlant qui nous blesse coup sur coup de visions multipliées et aveuglantes. L’un nous distrait, l’autre nous trouble. Milton nous élève. La force des objets qu’il décrit passe en nous; nous devenons grands par sympathie pour leur grandeur. Tel est l’effet de sa création du monde. Le commandement efficace et serein du Messie laisse sa trace dans le cœur qui l’écoute, et l’on se sent plus de vigueur et plus de santé morale à l’aspect de cette grande œuvre de la sagesse et de la volonté.

« Ils étaient debout, sur le sol céleste, et du rivage — ils contemplèrent le vaste incommensurable abîme, — tumultueux comme la mer, noir, dévasté, sauvage, — du haut jusqu’au fond retourné par des vents furieux — et par des vagues soulevées comme des montagnes, pour assaillir — la hauteur du ciel, et avec le centre confondre les pôles. — « Silence, vous, vagues troublées, et toi, abîme, paix ! — dit la parole créatrice; votre discorde finit. »

« — Que la lumière soit! dit Dieu, et soudain la lumière — éthérée, première des choses, quintessence pure, — s’élança de l’abîme, et de son orient natal — commença à voyager à travers l’obscurité aérienne, — enfermée dans un nuage rayonnant.

« — La terre était formée, mais dans les entrailles des eaux — encore enclose, embryon inachevé, — elle n’apparaissait pas. Sur toutes les faces de la terre, — le large Océan coulait, non oisif, mais d’une chaude — humeur fécondante, il adoucissait tout son globe, — et la grande mer fermentait pour concevoir, — rassasiée d’une moiteur vivifiante, quand Dieu dit : — « Rassemblez-vous maintenant, eaux qui êtes sous le ciel, — en une seule place, et que la terre sèche apparaisse! » — Au même moment, les montagnes énormes apparaissent — surgissantes, et soulèvent leurs larges des nus — jusqu’aux nuages; leurs cimes montent dans le ciel. — Aussi haut que se levaient les collines gonflées, aussi bas — s’enfonce un fond creux, large et profond, — ample lit des eaux. Elles y roulent — avec une précipitation joyeuse, hâtives — comme des gouttes qui courent, s’agglomérant sur la poussière. »


Ce sont là les paysages primitifs, mers et montagnes immenses et nues, comme Raphaël en trace dans le fond de ses tableaux bibliques. Milton embrasse les ensembles et manie les masses aussi aisément que son Jéhovah.

Quittez ces spectacles surhumains ou fantastiques. Un simple coucher de soleil les égale. Milton le peuple d’allégories solennelles et de figures royales, et le sublime naît du poète comme tout à l’heure il naissait du sujet.