Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/850

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aux bêtes. Le serpent séduit Eve par une collection d’enthymèmes dignes du scrupuleux Chillingworth, et là-dessus la fumée syllogistique monte dans cette pauvre tête. « La défense de Dieu, se dit-elle, recommande encore ce fruit, puisqu’elle infère le bien qu’il communique et notre besoin, car un bien inconnu certes n’est pas possédé, ou s’il est possédé et encore inconnu, c’est comme s’il n’était point possédé du tout. De telles prohibitions ne lient point. » Eve, vous sortez d’Oxford, vous avez appris la loi dans les auberges du Temple, vous avez jeté votre bonnet de docteur par-dessus les moulins, et vous courez les champs avec votre mari en robe, poursuivis tous deux par le dictionnaire amplificatif.

Contre l’envahissement des dissertations, sauvons-nous dans le ciel. Les dissertations nous y suivent : ni le ciel, ni la terre, ni l’enfer lui-même ne suffiront à les réprimer.

De tous les personnages que l’homme puisse mettre en scène, Dieu est le plus beau. Les cosmogonies des peuples sont de sublimes poèmes, et le génie des artistes n’atteint sa limite que lorsqu’il est soutenu par ces conceptions. Les poèmes sacrés des Hindous, les prophéties de la Bible, l’Edda, l’Olympe d’Hésiode et d’Homère, les visions de Dante sont des fleurs rayonnantes où brille concentrée une civilisation entière, et toute émotion disparaît devant la sensation foudroyante par laquelle elles jaillissent du plus profond de notre cœur. Aussi rien de plus triste que la dégradation de ces nobles idées, tombées dans la régularité des formules et sous la discipline du culte populaire. Rien de plus petit qu’un Dieu rabaissé jusqu’à n’être qu’un roi et qu’un homme ; rien de plus laid que le Jéhovah hébraïque, défini par la pédanterie théologique, réglé dans ses actions d’après le dernier manuel du dogme, pétrifié par l’interprétation littérale, étiqueté comme une pièce vénérable dans un musée d’antiquités.

Le Jéhovah de Milton est un roi grave qui représente convenablement, à peu près comme Charles Ier. La première fois qu’on le rencontre, au troisième livre, il est au conseil, et expose une affaire. Au style, on aperçoit sa belle robe fourrée, sa barbe en pointe par Van-Dyck, son fauteuil de velours et son dais doré. Il s’agit d’une loi qui a de mauvais effets, et sur laquelle il veut justifier son gouvernement. Adam va manger la pomme ; pourquoi avoir exposé Adam à la tentation ? Le royal orateur disserte et démontre. « Adam est capable de se soutenir, quoique libre de tomber. Tels j’ai créé tous les pouvoirs éthéréens, tous les esprits, ceux qui se sont soutenus et ceux qui sont tombés. Librement les uns se sont soutenus, librement les autres sont tombés. Sans cette liberté, quelle preuve sincère eussent-ils pu donner de leur vraie obéissance, de leur constante foi, de leur amour, si l’on n’avait vu d’eux que des actions