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Charité, formes mystérieuses et célestes qui veillent sur sa vie et sur son honneur.

Elle appelle ses frères ; « le doux et solennel accent de sa voix vibrante s’élève comme une vapeur de riches parfums distillés, et glisse sur l’air, dans la nuit, » au-dessus des vallées « brodées de violettes » jusqu’au dieu débauché qu’elle transporte d’amour. Il accourt déguisé en pâtre :


« Se peut-il qu’un mélange mortel d’argile terrestre — exhale l’enchantement divin de pareils accens ? — Sûrement quelque chose de divin habite dans cette poitrine. — Comme ils flottaient doucement sous les ailes — du silence, à travers la voûte vide de la nuit ! — Souvent j’ai entendu ma mère Circé avec les trois sirènes — au milieu des naïades aux robes de fleurs, — cueillant leurs herbes puissantes et leurs poisons mortels, — emporter par leurs chants l’âme captive — dans le bienheureux élysée ; Scylla pleurait, — les vagues aboyantes se taisaient attentives, — et la cruelle Charybde murmurait un doux applaudissement… — Mais un ravissement si sacré et si profond, — une telle volupté de bonheur sans ivresse, je ne l’ai jamais ressentie. »


Ce sont déjà les chants célestes. Nul n’a aussi bien rendu l’effet de la musique sainte. Milton fait comprendre ce mot de Platon, son maître, que les airs vertueux enseignent la vertu.

Le fils de Circé a emmené la noble dame trompée, et l’assied immobile dans un palais somptueux, devant une table exquise. Captive et tentée, elle l’accuse, elle résiste, elle l’insulte, et le style prend un accent d’indignation héroïque pour flétrir l’offre du tentateur.


« … Quand la débauche, — par des regards impurs, des gestes immodestes et un langage souillé, — mais surtout par l’acte ignoble et prodigué du péché, — laisse entrer l’infamie au plus profond de l’homme, — l’âme cadavéreuse s’infecte par contagion, — ensevelie dans la chair et abrutie, jusqu’à ce qu’elle perde entièrement — le divin caractère de son premier être. — Telles sont les lourdes et humides ombres funèbres — que l’on voit souvent sous les voûtes des charniers et dans les sépulcres, — attardées et assises auprès d’une tombe nouvelle, — comme par regret de quitter le corps qu’elles aimaient. »


Confondu, il s’arrête, et au même instant les frères, conduits par l’Esprit protecteur, se jettent sur lui l’épée nue. Il fuit, emportant sa baguette magique. Pour délivrer la dame enchantée, on appelle Sabrina, la naïade bienfaisante, qui, « assise sous la froide vague cristalline, noue avec des tresses de lis les boucles de sa chevelure d’ambre. » Elle s’élève légèrement de son lit de corail, et son char de turquoise et d’émeraude « la pose sur les joncs de la rive, entre les osiers humides et les roseaux. » Touchée par cette main froide et chaste, la dame sort du siège maudit qui la tenait enchaînée ; les frères avec la sœur règnent paisiblement dans le palais de leur père,