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République. « Je ne puis louer, dit-il, une vertu fugitive et cloîtrée, inexercée et inanimée, qui, ne sortant jamais de sa retraite, jette les yeux sur son adversaire, puis s’esquive de la carrière où, dans la chaleur et la poussière, les coureurs se disputent la guirlande immortelle. » Mais il n’est platonicien que par la richesse et l’exaltation. Pour le reste, il est homme de la renaissance, pédant et âpre, outrageant le pape, qui, après la donation de Pépin le Bref, « ne cessa de mordre et d’ensanglanter les successeurs de son cher seigneur Constantin par ses malédictions et ses excommunications aboyantes ; » il est mythologue dans la défense de la presse, montrant que jadis a nulle Junon envieuse ne s’asseyait les jambes croisées à l’accouchement d’une intelligence. » Peu importe : ces images savantes, familières, grandioses, quelles qu’elles soient, sont puissantes et naturelles. La surabondance comme la rudesse ne fait que manifester ici la vigueur et l’élan lyrique que le caractère de Milton avait prédits.

D’elle-même la passion suit ; l’exaltation l’apporte avec les images. Les audacieuses expressions, les excès de style, font entendre la voix vibrante de l’homme qui souffre, qui s’indigne et qui veut. « Les livres, dit-il dans son Aréopagitique, ne sont pas absolument des choses mortes ; ils contiennent en eux une puissance de vie pour être aussi actifs que l’âme dont ils sont les enfans. Bien plus, ils conservent comme dans une fiole l’efficacité et l’essence la plus pure de cette vivante intelligence qui les a engendrés. Je sais qu’ils sont aussi animés et aussi vigoureusement productifs que les dents de ce dragon fabuleux, et qu’étant semés ici ou là, ils peuvent faire pousser des hommes armés. Et cependant, d’autre part, il vaut presque autant tuer un homme qu’un bon livre. Celui qui tue un homme tue une créature raisonnable, image de Dieu ; mais celui qui détruit un bon livre tue la raison elle-même, tue l’image de Dieu dans l’œil où elle habite. Beaucoup d’hommes vivent, fardeaux inutiles de la terre ; mais un bon livre est le précieux sang vital d’un esprit supérieur, embaumé et conservé religieusement comme un trésor pour une vie au-delà de sa vie… Prenons donc garde à la persécution que nous élevons contre les vivans travaux des hommes publics, ne répandons pas cette vie incorruptible, gardée et amassée dans les livres, puisque nous voyons que cette destruction peut être une sorte d’homicide, quelquefois un martyre, et, si elle s’étend à toute la presse, une espèce de massacre dont les ravages ne s’arrêtent pas au meurtre d’une simple vie, mais frappent la quintessence éthérée qui est le souffle de la raison même, en sorte que ce n’est point une vie qu’ils égorgent, mais une immortalité. »

Cette énergie est sublime ; l’homme vaut la cause, et jamais une