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Pour comble, il esquissa un traité de l’éducation où il proposa d’enseigner à tous les élèves toutes les sciences, tous les arts, et, qui plus est, toutes les vertus. « Le maître qui aura le talent et l’éloquence convenables pourra, en un court espace, les gagner à un courage et à une diligence incroyables, versant dans leurs jeunes poitrines une si libérale et si noble ardeur, que beaucoup d’entre eux ne pourront manquer d’être des hommes renommés et sans égaux. » Milton avait enseigné pendant plusieurs années et à plusieurs reprises. Pour garder de pareilles illusions après de pareilles expériences, il fallait être insensible à l’expérience et prédestiné aux illusions.

C’est pourquoi il fut généreux. Ce qui détruit le dévouement, c’est l’expérience, car l’expérience analyse la vertu, et la vertu analysée ne subsiste guère. Le doute vient, la réflexion naît ; on sourit de son enthousiasme, on voit qu’il a eu pour source la chaleur du sang, la fièvre de la logique ou les images de la poésie ; on se tient tranquille, et l’on regarde le monde aller, ou, si l’on agit, on perce ses propres motifs, et l’on cesse de se trouver sublime, Milton eut la chaleur du sang comme un soldat qui combat, la fièvre de la logique comme un théoricien qui prouve, les images de la poésie comme un lyrique qui s’emporte ; il y avait chez lui tous les ressorts de la vertu, et l’analyse ne vint casser chez lui aucun de ces beaux ressorts. Il s’exposa le premier contre tous les partis vainqueurs, contre les royalistes dans son Traité de la Réforme, contre les presbytériens dans son Traité sur la Censure, contre tout le monde dans son Traité du Divorce. Il perdit la vue volontairement, en écrivant, quoique malade, pour le peuple anglais contre Saumaise. Il vécut en homme austère, dans le travail et dans l’étude, à l’abri des débauches et des plaisirs du temps, n’ayant d’autre divertissement que la conversation des savans et des politiques, les accords de son orgue et la lecture des plus nobles poètes. Il dévoua sa poésie à l’éloge des grands sentimens et des actions sublimes. « Je me confirmai moi-même, dit-il[1], dans l’opinion que celui qui veut bien écrire sur des choses louables, doit, pour ne pas être frustré de son espérance, être lui-même un vrai poème, c’est-à-dire un ensemble et un modèle des choses les plus honorables et les meilleures, n’ayant pas la présomption de chanter les hautes louanges des hommes héroïques ou des cités fameuses sans avoir en lui-même l’expérience et la pratique de tout ce qui est digne de louange. » Entre tous, il aima Pétrarque et Dante à cause de leur pureté. « Je me dis à moi-même que si l’impudicité dans la femme, que saint Paul appelle la gloire de l’homme, est un si grand scandale et un si grand déshonneur,

  1. Apology for Smectymnus.