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et plus nombreuses que les autres hommes, il apercevait des choses plus grandes. Tant d’idées et d’images régulièrement disposées formaient un horizon immense qu’il embrassait d’un coup d’œil. Cette vue magnifique l’exaltait ; il éprouvait la sensation du sublime ; son âme débordait, et l’ample fleuve de la poésie lyrique coulait hors de lui, impétueux, uni, splendide comme une nappe d’or.


I. — L’HOMME.

Cette disposition dominante fit son caractère. Fondé sur la logique et sur la science, Milton eut la force, car l’homme qui se nourrit incessamment de démonstrations solides est capable de croire, de vouloir et de persévérer dans sa croyance et dans sa volonté ; il ne tourne pas à tout événement et à toute passion, comme cet être changeant et maniable qu’on appelle un poète : il demeure assis dans des principes fixes, il est capable d’embrasser une cause et d’y rester attaché, quoi qu’il arrive, jusqu’au bout. Nulle séduction, nulle émotion, nul accident, nul changement n’altère la stabilité de sa conviction ou la lucidité de sa connaissance. Au premier jour, au dernier jour, dans tout l’intervalle, il garde intact le système entier de ses idées claires, et la vigueur logique de son cerveau fait la vigueur virile de son cœur. Lorsque chez lui le raisonnement serré engendre la sensation du sublime, chez lui la grandeur s’ajoute à la force. Il aime ses opinions non-seulement avec constance, mais avec enthousiasme. Il les juge non-seulement vraies, mais sacrées. Il combat pour elles non-seulement en soldat, mais en prêtre. Il est passionné, dévoué, religieux, héroïque. On a vu rarement un tel mélange ; on l’a vu pleinement dans Milton.

Il eut la fermeté, la rudesse, la fierté et la sérénité de la force. Il alla en Italie avant la guerre civile, et, par gravité et convenance, il évitait les disputes de religion ; mais si l’on attaquait sa propre croyance, il la défendait ardemment, jusque dans Rome, à deux pas de l’inquisition et du Vatican. Quand la révolution éclata, il revint en grande hâte, par vertu, et pour chercher le péril, comme un soldat qui, au bruit des armes, court à son poste. Il s’attaqua d’abord aux plus grands et railla avec hauteur et mépris l’épiscopat et ses défenseurs. Réfuté et attaqué, il redoubla d’amertume, et brisa ceux qu’il avait renversés. Il foula toujours ses adversaires, dédaigneusement et durement, à titre d’ignorans et d’esprits infirmes. Il sentit partout le pouvoir de sa science et de sa logique, et partout le fit sentir. « Les rois, dit-il au commencement de l’Iconoclaste, quoique forts en légions, sont faibles en argumens, étant accoutumés dès le berceau à se servir de leur volonté comme de leur main droite, et de leur rai-