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Claude Lorrain et Nicolas Poussin, en faisant du paysage l’interprète de leur pensée au lieu de dépenser toute leur habileté dans l’imitation des plantes et des terrains, l’ont placé au même rang que la peinture de figure. Si le grand Florentin avait pu contempler des œuvres conçues dans de telles conditions, il n’aurait pas traité le paysage avec tant de dédain; il aurait reconnu dans ces œuvres l’application de sa méthode. Qu’on ne se méprenne pas pourtant : il y aurait quelque chose de puéril à vouloir établir une parenté entre les procédés du Florentin et les procédés des deux peintres français. La méthode dont je parle ici est purement intellectuelle. Michel-Ange n’aimait pas l’imitation : s’il savait copier, il ne copiait pas; il ne prenait le pinceau que pour exprimer une pensée. La forme et le mouvement lui obéissaient; il ne les dénaturait pas, il les assouplissait. Ce n’est pas dans son habileté seule qu’il faut chercher le principe de son excellence, mais dans l’énergie de sa volonté. Claude Lorrain et Poussin, qui savaient imiter la nature muette aussi habilement que Michel-Ange la figure, voulaient, comme lui, mettre le sceau de leur pensée dans chacune de leurs œuvres. J’ai donc raison de dire qu’ils suivaient sa méthode. Quant à leurs procédés, ils n’ont rien à démêler avec la question qui nous occupe.

Dans les arts du dessin, comme dans la musique, comme dans la poésie, la valeur des œuvres se mesure d’après la part faite à l’intelligence. Il paraît qu’à l’époque de la renaissance comme aujourd’hui, la plupart des peintres qui se proposaient l’imitation de la nature muette ne faisaient pas à l’intelligence une part très opulente. Le dédain de l’auteur du Jugement dernier pour les praticiens étrangers à toute réflexion ne doit donc pas nous étonner. Tous les esprits élevés, à quelque partie de l’invention qu’ils aient voué leurs facultés, trouveraient autour d’eux des praticiens qui mettent le métier au-dessus de l’art, ou qui plutôt confondent l’un avec l’autre, et n’ont jamais entrevu l’importance et le rôle de la pensée. Le sentiment de leur supériorité, lors même qu’ils n’excelleraient pas dans tous les détails matériels de leur profession, leur permet de railler ceux qui se prennent pour des maîtres et n’ont jamais rien inventé. Les deux paysagistes français-qui représentent avec Ruysdaël l’interprétation de la nature muette sous sa forme la plus parfaite défient le dédain des peintres de figures. Le problème qu’ils se proposaient n’est pas moins difficile à résoudre que celui de la peinture historique. En groupant des personnages, on veut exprimer des passions : c’est là sans doute une tâche laborieuse, mais on a devant les yeux ou dans ses souvenirs ce qu’on essaie de traduire. Quand il s’agit de rendre l’impression qu’on a reçue à l’aspect d’une forêt, d’associer le spectateur à sa rêverie, c’est une rude besogne. C’est pour avoir posé ce problème dans toute sa franchise, c’est pour l’a-