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grands est suivi par tous ceux qui approchent des grands. Un coin de l’Italie copié par un pinceau habile n’aurait attiré que les regards de quelques voyageurs opulens, et ce n’était pas assez pour décider le génie national à se frayer une route nouvelle. Or la Hollande et la France étaient placées dans d’autres conditions. Pour elles, la peinture religieuse n’était pas le seul moyen de s’illustrer et d’ajouter à la célébrité une vie douce et facile : elles ont traité les sujets bibliques avec moins d’habileté, mais presque aussi souvent que la patrie de Michel-Ange et de Raphaël, car les traditions chrétiennes sont une mine féconde dont les peuples de l’Europe se partagent les filons sans les épuiser. Seulement le génie français, le génie hollandais, pouvaient tenter l’imitation de la nature muette sans redouter l’indifférence ou le dédain. Comme le gouvernement n’était pas confondu avec la religion, ils n’étaient pas obligés d’interroger à toute heure le Pentateuque et l’Evangile, sous peine de voir leurs œuvres méconnues ou délaissées. Pour un Hollandais enrichi par le commerce, un paysage pris dans une terre qu’il possède a tout l’intérêt d’un portrait de famille. Bien des Français nés dans la richesse sont hollandais sur ce point. Il était donc naturel que l’imagination et le talent des peintres se tournassent de ce côté. Il est vrai que la représentation d’une maison de campagne soumise au contrôle du propriétaire n’est pas précisément un paysage dans le sens le plus élevé du mot; mais c’est le point de départ, comme la copie d’une figure. Comme le peintre ne peut exprimer sa pensée qu’en se servant de l’imitation ainsi que l’orateur de la parole, la représentation fidèle d’un champ, d’une prairie, d’un moulin ou d’un ruisseau n’est pas à dédaigner. C’est la formation d’une langue. Celui qui la parle correctement est en mesure de nous intéresser, pourvu qu’il ait quelque chose à nous dire. S’il n’a pas le goût de la réflexion, s’il n’est pas doué d’une imagination active, il nous laisse indifférens, comme les écrivains qui savent assembler les mots dans un ordre merveilleux, mais qui ne savent ni éclairer l’intelligence ni émouvoir le cœur.

Les conditions du paysage telles que les ont comprises Claude Lorrain et Nicolas Poussin sont d’une nature tellement élevée, qu’elles réduisent à leur juste valeur les paroles attribuées à Michel-Ange. Sans doute les compositions où la figure est le sujet principal tiennent le premier rang dans la peinture, mais cela n’est vrai que d’une manière générale, et quand il s’agit d’œuvres signées de ces noms, il faut que la règle fléchisse. Pourquoi en effet la figure tient-elle le premier rang dans la peinture? Ce n’est pas seulement parce qu’elle offre au pinceau un plus grand nombre de difficultés qu’un arbre ou une montagne; c’est aussi et surtout parce qu’en raison même de sa nature, elle est soumise à des expressions diverses. Or