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est arrivé à plus d’un de ne pas mesurer ses forces et de se croire appelé à de hautes destinées. Un paysagiste à peine parvenu à la virilité fait le voyage d’Italie après avoir copié heureusement des pâturages de Normandie. Plein de confiance, enhardi par les succès de sa jeunesse, il traite au retour des sujets qui ne sont pas à sa portée. Il échoue, il s’étonne, il s’afflige; ses amis partagent son étonnement et son chagrin. L’échec n’est pas douteux. Est-ce le peintre qui a tort? Non vraiment. Le public se trompe-t-il en déclarant l’œuvre nouvelle moins digne d’attention que ses sœurs aînées? Non, le public a raison. Le seul tort de l’auteur, c’est d’avoir visité l’Italie, d’avoir troublé par un voyage imprudent la sérénité de son intelligence. Avant cette folle équipée, il avait le regard pénétrant, la main sûre. Il faisait tout ce qu’il voulait, et n’échouait jamais dans l’accomplissement de son dessein. Depuis qu’il a franchi les Alpes, tout est changé; son regard est moins pénétrant, sa main hésite. On dirait qu’il aperçoit la nature à travers un voile, et que son pinceau refuse de lui obéir. Qu’il eût agi plus sagement en copiant toute sa vie les pâturages de Normandie !

Ai-je besoin d’écrire la péroraison de cette belle harangue? — Il faut se défier de l’Italie. — On n’oublie qu’une chose, c’est que les plus grands spectacles ne suscitent pas de grandes pensées dans toutes les intelligences. Les mésaventures que je rappelle ne prouvent rien, sinon qu’au-delà comme en-deçà des Alpes on garde ses facultés primitives. Cette conclusion ne vaut pas un blasphème. Ne profite pas qui veut des lectures les plus instructives; est-ce une raison pour maudire les livres, qui demeurent inutiles pour les intelligences vulgaires? Pourquoi les Italiens, en face d’une nature qui se prête si admirablement à la peinture du paysage, n’ont-ils jamais engagé une lutte sérieuse avec la Hollande et la France dans cette partie de l’art? C’est une question qui se présente naturellement, et qui n’est pas sans intérêt. Il semble en effet qu’ils étaient mieux placés que personne pour tenter l’imitation de la nature inanimée ou de la nature muette. Et cependant l’Italie ne compte pas un paysagiste éminent! L’imagination ne lui manque pas. Dieu merci! L’Italie tient le premier rang dans la peinture historique; elle réunit au plus haut point toutes les facultés nécessaires pour réussir dans toutes les parties de l’art. Est-ce dédain de sa part? Aurait-elle pris pour vraie la parole de Michel-Ange? Je répugne à le penser. Je crois plutôt que les Italiens, habitués à contempler les merveilles de leur climat, sont arrivés à leur insu à une sorte de satiété, et ne sentent pas le besoin d’imiter ce qu’ils ont devant les yeux depuis leurs premières années. Pour tenter la peinture de paysage, il ne faut pas seulement aimer ce qu’on voit, il faut encore le regarder avec cu-