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aux lecteurs, et quand on parle des artistes vivans, on s’expose trop souvent au reproche d’injustice. On a beau s’exprimer avec une bonne foi parfaite, ne rien dire en-deçà, ne rien dire au-delà de sa pensée : quand on ne ratifie pas les éloges prodigués au portrait d’une villa ou d’une prairie, on passe facilement pour un homme sans goût ou sans bienveillance. Sur le terrain de l’histoire, on se meut plus librement.

Personne, je l’espère, ne m’accusera de vouloir dénigrer Ruysdaël. Si je ne le place pas sur la même ligne que Nicolas Poussin, on pourra dire tout au plus que je ne m’y connais pas, ce qui ne sera pas pour moi un sujet de chagrin; on ne dira pas qu’en parlant du maître hollandais, je sers des rancunes qui n’osent s’avouer. Pourvu qu’on ne mette pas en doute ma sincérité, je fais bon marché des reproches les plus vifs. J’ai trop douté avant d’affirmer pour m’étonner que ma pensée ne soit pas acceptée sans résistance. Les objections ne m’effraient pas. Je fais de mon mieux pour les réfuter, quand elles me semblent mal fondées. Quand elles me paraissent légitimes, je me rends à l’évidence. La discussion n’est pour moi qu’une forme nouvelle donnée à l’étude. Je crois que Jacques Ruysdaël n’a pas la même valeur que Claude Lorrain, que Nicolas Poussin. Avant d’arriver à cette conclusion, je n’ai rien négligé pour m’éclairer. Ai-je tort de penser ainsi? ai-je tort de placer l’idéal au-dessus de l’imitation? Si la comparaison du présent et du passé venait me démontrer que je me suis trompé, je n’hésiterais pas à le reconnaître, car, dans les questions de goût comme dans les questions scientifiques, les faits, en se multipliant, peuvent modifier une pensée qui d’abord semblait vraie. Toutefois j’ai lieu de croire que Ruysdaël, Claude Lorrain et Nicolas Poussin représentent le développement du paysage. Les œuvres des peintres vivans se rattachent pour la plupart au maître hollandais. Ce que je dirai de lui ne pourra donc manquer de les atteindre. Quant aux deux maîtres français, leurs disciples sont aujourd’hui peu nombreux.

On peut demander pourquoi Claude Lorrain et Nicolas Poussin, au lieu de chercher en France le cadre ou le sujet de leurs compositions, ont préféré le paysage d’Italie. Ce n’est pas chez eux pur caprice : ils avaient trop de gravité dans le caractère pour se décider légèrement. Quel était donc le motif de leur préférence? Il n’est pas douteux pour ceux qui ont quitté leur clocher qu’on ne trouve dans notre pays d’admirables points de vue. Les montagnes du Dauphiné, les montagnes de l’Auvergne, offrent sans contredit des sujets d’étude dignes du pinceau le plus habile. Cependant, quand on a vu la campagne romaine, on est forcé de reconnaître que l’Italie présente, sinon plus de grandeur, au moins plus de simplicité. Or, dès