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sa préfecture, n’avait pas encore quitté Rome. Il avait connu Arvandus au-delà des Alpes, et faisait profession d’amitié pour lui. La double accusation sous le poids de laquelle le magistrat gaulois était amené en Italie, l’ardeur extrême que manifestaient les provinces transalpines, le choix de leur députation, où figuraient des personnages considérables, amis ou parens de Sidoine, tout cela semblait conseiller à l’ex-préfet de Rome non pas de renier son ami, mais de mettre la plus grande réserve dans sa conduite entre l’accusateur et l’accusé. Cette réserve était simple et naturelle de la part d’un homme honnête que devaient révolter les crimes dont on chargeait Arvandus; mais Sidoine, vaniteux et inconséquent, vit surtout dans ce procès l’occasion de jouer un rôle et de montrer son crédit. « Arvandus est mon ami, se disait-il, et je prouverai que Sidoine dans la prospérité n’abandonne point ses amis malheureux. » Sous l’empire de ce sentiment plus orgueilleux que tendre, il se proclama le patron d’Arvandus et se crut un héros. Le pire de tout cela, c’est qu’il ne se faisait pas d’illusion sur la probité de son ami, dont il qualifie l’administration de dévastatrice. « Je me dois à moi-même de lui rester fidèle, » répétait-il à tout venant, et il ajoutait par une flatterie déguisée sous un faux semblant de liberté : « Je montrerai que sous un bon prince on peut aimer un accusé de lèse-majesté et le dire. » Du moins eût-il pu ne se faire ni le conseil de l’accusé, ni le révélateur de la partie secrète de l’accusation, ni l’instigateur d’un mensonge, mais il ne sut s’abstenir de rien. De compagnie avec un certain Auxanius, jurisconsulte de Rome et qui paraît avoir été l’un des conseils d’Arvandus, il alla trouver l’ancien préfet des Gaules et l’entretint de cette lettre interceptée dont l’accusation ne parlait qu’avec mystère, se proposant d’en faire usage à l’improviste, pour surprendre l’accusé et l’accabler de son propre aveu. C’était en effet là le plan de Ferréolus et de ses deux collègues, la lettre ainsi que les circonstances qui l’avaient fait tomber entre leurs mains étant tenues sous un profond secret, afin d’agir instantanément et énergiquement sur l’accusé et sur les juges. On se bornait à dire qu’il y avait dans cette lettre une accusation de lèse-majesté portée par Arvandus contre lui-même, et que les jurisconsultes qui l’avaient vue regardaient la condamnation comme assurée. Auxanius et Sidoine n’en savaient pas davantage. « Arvandus, lui disaient-ils, écoute-nous : prends bien garde au piège qu’on veut te tendre; abstiens-toi de tout aveu, quel qu’il soit. Le silence et une dénégation absolue peuvent seuls te sauver. » Cette prudence n’était point du goût d’Arvandus. Tantôt souriant de pitié, tantôt s’emportant contre ses amis avec une colère dédaigneuse : « Laissez-moi, s’écriait-il, épargnez-moi de si lâches avis; hommes dégé-