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ces derniers temps, et ce soin ne leur permettait pas toujours de dormir en paix. Symmaque nous raconte que, durant sa préfecture, il faisait le guet du haut des collines du Tibre, pour apercevoir le premier les bienheureux navires qui devaient tirer ses administrés d’une disette, et lui d’une mortelle inquiétude. Si les difficultés étaient déjà grandes du temps de Symmaque, elles le devinrent bien davantage lorsque Genséric eut enlevé au peuple romain le premier de ses greniers, Carthage, et que ses flottes purent bloquer le second, Alexandrie.

Quant à l’affaire pour laquelle Sidoine était venu en Italie, et dont il ne parle plus dans ses lettres, on peut croire qu’elle se termina comme il l’avait souhaité. Le crédit d’un préfet de Rome valait bien à cet égard le patronage de Gennadius ou la science de Cécina. Généreux et expansif comme un poète, Sidoine s’empressa de mettre sa nouvelle fortune au service de ses compatriotes transalpins, et non-seulement il secondait leur ambition quand ils en montraient, mais il les aiguillonnait, il les poussait à briguer des charges publiques, persuadé que la patrie gauloise trouverait son compte dans l’activité et dans le succès de ses enfans. Il pensait aussi, non sans raison, qu’une des plaies de ce siècle, c’était le découragement ou la nonchalance des gens de bien, qui laissait le champ libre aux intrigues des aventuriers politiques.

Sidoine avait en Gaule un ami de jeunesse nommé Eutropius, qui, dégoûté du spectacle du monde, était allé s’enterrer dans un coin de sa province, où il partageait son temps entre la culture de ses domaines (il était du reste fort riche) et l’étude du philosophe Plotin. Pendant une partie du jour, Eutropius menait la vie d’un vrai paysan, labourant, semant, fauchant de ses mains, et pendant l’autre celle d’un sophiste, ce qui ne l’empêchait pas d’étaler dans sa demeure rustique une galerie d’images représentant ses aïeux, tous gens titrés et honorés à leur époque des plus hautes dignités de l’empire. Sidoine blâmait cette vie, qu’il traitait de lâche; il écrivit de Rome à Eutropius pour le gourmander, le tirer de sa torpeur et l’appeler vers lui. Oubliant le goût des vieux Romains pour la charrue, il demande à son ami s’il croit honorer cette galerie d’images, toutes vêtues de la toge des sénateurs, en se faisant le compagnon de ses bouviers, ou bien si ces hommes sévères, dont l’activité avait servi l’état aux dépens de leur repos, n’auraient pas flétri son oisiveté philosophique, ou plutôt sa paresse et son abandon de la patrie. « Allons! ajoute-t-il, secoue-moi ce sommeil déshonorant pour ton nom; viens t’enrôler à mes côtés dans la milice palatine, et joins-moi une préfecture à la philosophie! C’est un dicton de nos provinces qu’une bonne année dépend encore plus d’un bon magistrat que