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leurs tout entière; les chefs d’école sont mentionnés par le poète l’un après l’autre, et cette revue lui inspire parfois des traits d’une mâle vigueur : « L’âme de Socrate, dit-il, revit dans le Phédon, on l’y voit méprisant des fers auxquels elle va échapper. La mort elle-même tremble devant le glorieux coupable, et le bourreau qui lui tend le poison pâlit en contemplant sa sérénité. »

Au sortir des écoles, Anthémius fait ses premières armes sous la direction de son père, puis il épouse la fille de l’empereur Marcien; alors les grands commandemens lui arrivent, et avec eux les occasions de se signaler. Il combat les Goths près du Danube, les Huns dans un vallon de la Thrace, où les bandes d’Hormidac sont détruites. Cette guerre procure au panégyriste une occasion de nous peindre les Huns, et il en use sans discrétion; mais je passe rapidement sur tout cela pour arriver aux affaires d’Occident, la partie délicate de l’ouvrage, celle qui répondait aux préoccupations de l’assemblée, et qu’attendaient sans doute avec impatience et l’empereur et le sénat, et Ricimer lui-même.

Avant d’aborder ce sujet difficile, le poète se recueille; il sent le besoin d’invoquer Apollon et les Muses. Plus les événemens de ce monde sont graves, plus leurs causes sont voilées; plus nous devons nous adresser aux immortels pour en connaître le secret : « Apollon, s’écrie-t-il, assiste-moi, monte ta lyre!... Et vous, vierges de Castalie, apprenez-moi quelle divinité nous a envoyé Anthémius, et par quelle mystérieuse influence l’union refleurit entre deux empires que la discorde avait séparés!... » Disons d’abord que ces formules de mystagogue païen se reproduisent plusieurs fois dans le poème de Sidoine, entièrement composé sur un plan mythologique, et où il serait impossible de distinguer la main d’un chrétien. Pourtant ce chrétien était sincère, il croyait avoir été guéri de la fièvre quatre mois auparavant par une fervente prière au tombeau des apôtres, et le temps n’était pas éloigné où il devait porter lui-même avec gloire et sainteté le pallium des évêques. Ajoutons que cet emploi des formules païennes, considérées comme lieu commun poétique, pouvait bien n’être pas aussi innocent alors qu’il l’est de nos jours, qu’au Ve siècle il répondait à des croyances encore vivaces non-seulement dans le peuple, mais dans les hautes classes de la société, et que beaucoup de membres du sénat de Rome étaient ouvertement ou secrètement polythéistes. La poésie officielle, en dépit du changement de religion, restait païenne, et faisait résonner aux oreilles des empereurs chrétiens, dans les cérémonies de l’état, des paroles que partout ailleurs les lois eussent punies comme des blasphèmes. Elle faisait profession publique d’un culte dont les temples étaient interdits. Le polythéisme, condamné par les lois et de plus en plus chassé