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d’hui : en nous donnant pour prince un de tes fils, tu t’es rendue chère à tout le peuple de Quirinus, tu es vraiment la mère de l’empire. La terre qui te porte soutient aussi le Rhodope et l’Hémus, terre de Thrace fertile en héros! Là le froid endurcit les hommes. C’est un berceau de neige qui reçoit l’enfant à sa naissance; c’est la glace qui raffermit ses membres délicats. A peine connaît-il la mamelle de sa mère; la veine d’un coursier le nourrit; il y suce au lieu de lait un sang fortifiant, et avec ce sang la passion de la guerre... Ainsi croissent les enfans de Mars !

« Mais toi qu’environnent, comme une double ceinture, les mers de l’Europe et de l’Asie, tu participes à l’un et à l’autre climat, et le souffle glacé des aquilons de Thrace s’adoucit sur ta plage aux tièdes haleines que t’envoie Chalcédoine. Cependant Suse tremble à ton nom, et le Perse, fils d’Achémenès, prosterné et suppliant, abaisse devant toi le croissant de sa tiare. L’Indien, à la chevelure humide de parfums, travaille pour t’embellir; il désarme à ton profit la gueule de ses nourrissons farouches pour en tirer l’ivoire recourbé, et l’éléphant déshonoré va porter ses défenses en tribut aux rives du Bosphore. En vain ton peuple se déploie dans une vaste enceinte de murailles, il y est encore trop à l’étroit, et il a fallu qu’un môle immense lui ouvrît une voie sur la mer : les flots repoussés au loin mugissent contre une terre qu’ils ne connaissaient pas….. Thétis d’un côté t’ouvre des ports et te sert de défense, de l’autre une contrée fertile t’entoure de ses moissons. Ville heureuse, qui es entrée en partage des triomphes de Rome! Nous ne nous en plaignons plus. Que l’empire reste ainsi divisé : les plateaux de la balance se font équilibre; tu les as rendus égaux en prenant nos poids!... »


Anthémius, né à Constantinople, y avait passé son enfance : le poète part de là pour nous décrire avec détail l’éducation d’un noble romain d’Orient au Ve siècle. Ce morceau est très intéressant au point de vue de l’histoire; il nous donne l’énumération des auteurs qu’Anthémius avait étudiés, ou plutôt était censé avoir étudiés, pour devenir, comme il était, un parfait Romain de Byzance. Nous y voyons qu’un jeune Byzantin de haute classe était tenu de savoir le latin tout aussi bien que le grec, et que malgré sa propension naturelle à étudier les lettres grecques, qui lui fournissaient d’ailleurs les grands modèles de l’art, son éducation politique le portait de préférence vers la littérature latine, l’histoire de Rome étant devenue celle du monde entier. Ainsi les historiens que Sidoine suppose avoir été placés dans les mains d’Anthémius enfant ne sont ni Hérodote, ni Thucydide, ni Xénophon, mais Salluste, Tite-Live et Tacite : « Tacite, qu’on ne peut nommer sans éloge, » ajoute le poète. L’orateur par excellence pour cet élève qui parlait grec, ce n’est pas Démosthènes, mais Cicéron; le poète, c’est Virgile, chantre de César et d’Enée, et Sidoine lui associe Plante, en qui circule la vieille sève latine; ses critiques sont Quintilien et Varron. La littérature grecque est réservée pour l’étude de la philosophie, qu’elle embrasse d’ail-