Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/742

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de ses portiques de marbre la vue pouvait embrasser toute la ville de Rome. En face et à l’orient, l’œil rencontrait d’abord la roche Tarpéienne et le Capitole; au-dessous, dans la dépression de la vallée, les quatre forums de Trajan, d’Auguste, de César et de la république, celui-ci reconnaissable aux proues de navires qui garnissaient sa tribune; à droite, l’amphithéâtre de Titus, dressant au-dessus des îlots de maisons sa masse imposante; à gauche, le Grand-Cirque, l’aqueduc et les naumachies de Néron; de tous côtés, des théâtres, des temples, des jardins, des thermes, vastes comme des provinces[1], et dans le lointain la ligne de murailles crénelées qui dessinait le cours du Tibre. Les poètes chantèrent fréquemment ce magnifique spectacle comme une des pompes réservées au consulat des césars. « Que cet aspect a de majesté! s’écriait Claudien, célébrant en 404 le sixième consulat d’Honorius. Cette foule de temples rangés en cercle autour du palais ne semblent-ils pas autant de postes avancés qui protègent la demeure du prince?... Contemplez là-bas l’or ciselé des portes du Capitole et sous les autels de Jupiter Tonnant les géans suspendus à la roche Tarpéienne. Aux faîtes superbes de ces temples qui usurpent les plaines de l’air, un peuple de statues semble s’agiter dans les nuages. Que de colonnes rostrales tapissées de l’airain des vaisseaux! que d’arcs de triomphe chargés des dépouilles des nations! Quels travaux audacieux la main de l’homme a jetés sur ces montagnes, comme pour dominer la nature! Partout le reflet de l’or éblouit les regards, et son scintillement continuel fatigue nos paupières tremblantes. »

Bien des choses s’étaient passées depuis le jour où Claudien récitait ces vers, et il eût à peine reconnu cette Rome qu’il peignait si resplendissante. La reine du monde avait été saccagée deux fois; ses richesses étaient dispersées; l’or ne brillait plus sur ses monumens, dépouillés par les Barbares; le Capitole même avait perdu la moitié de son toit de bronze doré, enlevée par Genséric et conduite triomphalement à Carthage. Ce peuple de statues descendu de ses bases gisait mutilé dans tous les recoins de Rome; une partie reposait au fond des mers de Lybie, car le roi vandale, à son départ, en avait chargé un vaisseau que la tempête engloutit en chemin. On ne voyait plus au loin que débris de maisons, toits effondrés, amphithéâtres percés de brèches, colonnes noircies par la fumée; partout s’apercevait la trace des incendies allumés par les Goths, réveillés par les Vandales. Le palais impérial lui-même présentait sur ses marbres plus d’un signe de dévastation. Les églises seules avaient été respectées, et la croix brillait sans insulte. Au couchant du mont Palatin, sur le pla-

  1. « In modum provinciarum. » Ammian. Marcellin, l. XVI.