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difficile sans doute de se taire sur des événemens comme ceux qui se sont accomplis, et d’imposer silence à toutes les passions. Tôt ou tard les partis ont à s’expliquer. La bataille a été livrée dans le sénat, et c’est vraiment une bataille, car la plupart des hommes qui l’ont soutenue sont des militaires, les généraux Narvaez, O’Donnell, Coucha, Serrano, Ros de Olano.

Qu’on note bien la situation respective des hommes et le point de départ de cette lutte pleine de péripéties. Il y avait d’un côté ceux qu’on a nommés les vicalvaristes, qui à l’origine ont pris part à la révolution, qui en ont été les modérateurs pendant deux ans, qui ont fini par la dompter pour être bientôt dépassés eux-mêmes dans la réaction, et il y avait d’un autre côté les diverses fractions du parti conservateur jetées hors des affaires par les événemens de 1854. Il s’agissait de savoir si ces événemens deviendraient le texte de récriminations violentes, ou si l’esprit de conciliation aurait assez de puissance pour rapprocher les hommes. Le discours royal, à l’ouverture de la session, allait au-devant de cette terrible difficulté en jetant un voile sur les discordes passées et en faisant appel à l’oubli. La commission de l’adresse dans le sénat proposait une réponse à la reine dictée par le même esprit, lorsqu’un sénateur, le général Calonge, est venu allumer le feu par un amendement qui effaçait le mot d’oubli, et cet amendement, le général Calonge l’a commenté d’une façon plus grave encore par un discours où il mettait directement en cause les généraux vicalvaristes en appelant sur eux un châtiment. Vainement le président du conseil est intervenu aussitôt pour repousser cet amendement, qui a été en effet immédiatement rejeté par le sénat ; vainement il a invoqué de nouveau la conciliation, défendant les généraux accusés au nom même des services qu’ils avaient rendus : le coup était porté. Le comte de Lucena, le chef du mouvement militaire du Camp des Gardes, s’est levé à son tour pour accepter le défi ; seulement le général O’Donnell n’a point vu que s’il tenait simplement à repousser les accusations du général Calonge, la meilleure réponse était le vote du sénat, qui avait rejeté l’amendement, et que s’il se tournait contre le gouvernement lui-même, il se donnait le fâcheux vernis d’une agression d’autant moins justifiée que le président du conseil avait hautement pris sa défense. Le général Narvaez l’avait habilement désarmé. N’importe, son siège était fait évidemment, il n’a pas su résister à la tentation. Le général O’Donnell ne s’est point contenté d’exposer ses actes durant ces deux dernières années : il a pris une offensive directe, personnelle, contre le duc de Valence, qu’il a voulu envelopper dans une sorte de solidarité morale avec les auteurs du soulèvement militaire de 1854.

Une fois cette lutte ouverte d’ailleurs, elle s’est bientôt étendue ; le champ s’est élargi. Chacun a voulu expliquer son rôle dans les événemens passés. Les généraux Ros de Olano et Concha se sont défendus. Le général San-Miguel et M. Luzurriaga ont plaidé sans trop de succès la cause de la révolution de 1854 et des certes constituantes. Le ministre des affaires étrangères, M. Pidal, et le ministre de l’intérieur, M. Nocedal, ont attaqué les progressistes et le général O’Donnell lui-même, qu’ils ont affecté, on ne sait trop pourquoi, de vouloir confondre avec les révolutionnaires. La mêlée est devenue universelle. Qui a gagné, qui a perdu en définitive dans cette lutte ?