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beau canot, en écorce de bouleau, relié par des branches de cèdre et des racines de mélèze, enduit de résine, orné de piquans de porc-épic. « Ainsi fut construit le canot dans la vallée, près de la rivière, au sein de la forêt, et la vie de la forêt était en lui, tous ses mystères et toute sa magie, toute la légèreté du bouleau, toute la force du cèdre, tous les souples nerfs du mélèze, et il flottait sur la rivière comme une feuille jaune en automne, comme un jaune lis des eaux. » Muni de ce canot, Hiawatha combattit sur le grand lac le puissant Nahmah, roi des esturgeons, et le vainquit après des périls et des aventures qui rappellent la légende du prophète Jonas et l’Histoire véritable, de Lucien. Encouragé par ce premier exploit, il défia le magicien qui cache ses trésors au fond des marais, les dérobe aux hommes, et leur prodigue en revanche la peste et les fièvres. La vieille Nokomis, qui avait à se plaindre du magicien, encouragea son petit-fils à cette aventure périlleuse. « C’est lui qui a tué mon père par ses vils artifices et ses ruses, lorsqu’il descendit de la lune, lorsqu’il vint sur la terre pour me chercher. Lui, le plus puissant des magiciens, il nous envoie la fièvre des marais, il envoie les vapeurs pestilentielles, les exhalaisons empoisonnées, et du fond des marécages, il envoie parmi nous le gris brouillard, la maladie et la mort. Prends ton arc, Hiawatha, prends tes flèches à la tête de jaspe et ta massue de guerre, et tes mitaines magiques, et ton canot de bouleau, et l’huile de Nahmah l’esturgeon pour frotter ses flancs, afin que rapidement tu puisses fendre l’eau noire comme la poix. Tue ce magicien impitoyable, sauve le peuple de la fièvre qu’il respire du fond des marais, et venge le meurtre de mon père! » Ainsi excité, Hiawatha marche à la rencontre du magicien, à travers l’eau noire des marécages. Il rencontre les hôtes de la fange, les serpens jaloux qui gardent l’entrée des trésors, et lèvent vers lui leurs têtes sifflantes en essayant de l’intimider. Hiawatha use une partie de ses flèches contre ce peuple de pythons. « Chaque résonnement de la corde de l’arc était un cri de guerre et un cri de mort; chaque sifflement d’une flèche était un chant de mort pour les serpens. »

Il fallut longtemps à Hiawatha pour atteindre la demeure du magicien. « Toute la nuit il navigua, il navigua sur cette eau croupissante, couverte de la vase des siècles, noire de roseaux en putréfaction, épaisse d’iris et de lis des marais, stagnante, morte, terrible, sombre, éclairée par le pâle éclat de la lune, illuminée par les feux-follets des lumières allumées par les fantômes des morts dans leurs campemens de nuit. L’air tout entier était blanc de la lumière de la lune, l’eau tout entière était noire d’ombres, et autour de lui les moustiques chantaient leur chant de guerre, et les mouches à feu agitaient leurs torches pour l’égarer, et la grenouille levait sa tête