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peut-être avec le temps et avec de nouvelles lumières ; mais en attendant il est et demeure converti, attaché à la vérité. Dieu est admirable de sagesse et de bonté! Mais en conclurons-nous que c’est là le moyen ordinaire, le moyen sage et prudent, en un mot le moyen à conseiller pour arriver à la foi et au christianisme? Non, assurément... D’où vient cette disposition si générale des esprits, cette mollesse de raisonnement, cette faiblesse et ce manque d’énergie pour suivre le raisonnement jusqu’où bout, comme le dit Fénelon? Ce vice, plus général aujourd’hui peut-être qu’à aucune autre époque, peut venir de plusieurs causes; mais à coup sûr aussi il ne pourrait être que secondé, favorisé et justifié par les doctrines que quelques écrivains cherchent à répandre depuis trente ans. Lorsqu’on entend dire chaque jour par une école nombreuse, zélée et savante, qu’il faut commencer par la foi, qu’il faut croire avant de raisonner, etc., que peut en conclure le public, sinon que, la raison ne devant avoir aucune part dans la conversion, il faut embrasser la foi sans motifs et s’y abandonner aveuglément? La croyance, n’étant plus, même dans ses motifs, une affaire de raison ou un acte raisonné, tombe dans le domaine du sentiment, des impressions, du fanatisme et de toutes les folies. »


Voilà ce que nous enseigne .le père Chastel, de la compagnie de Jésus. Que pourrions-nous ajouter? Le tableau qu’il trace est d’une triste fidélité. Rien n’est plus propre à empêcher les conversions réfléchies et sérieuses que ces manières peu scrupuleuses de discuter, que ces formes hautaines de prédication qui discréditent le prédicateur, que ces doctrines qui ne laissent aucun droit à la raison et à la conscience individuelle, qui présentent la vérité comme imposée par l’enseignement ou le commandement, qui prosternent dans la poussière tout ce qui est science, méditation, effort d’esprit, pour n’attribuer les signes augustes de la sagesse qu’à l’autorité visible se rendant témoignage à elle-même et cherchant l’obéissance au lieu de la conviction.


V.

J’en étais là de mes réflexions sur les conséquences de la philosophie de M. de Bonald, si l’on peut appeler philosophie quelques idées ingénieuses et confuses exprimées avec une apparente précision, quand un nouvel ouvrage, conçu dans le même esprit que celui du père Chastel, est venu me convaincre davantage encore, s’il est possible, que le principe du traditionalisme est aussi étranger à la foi qu’à la science, et qu’en l’attaquant on est loin de faire la guerre à la religion. Aux yeux de quiconque s’intéresse aux choses de l’esprit dans leur rapport avec la vie éternelle, l’église de France n’a pas produit de nos jours un interprète plus habile et plus éclairé que M. L’abbé Maret. Supérieur aux petites passions mères des grandes erreurs, il s’est peu à peu dégagé, dans une suite de bons écrits, des nuages qui