Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/645

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parle de M. Amédée Thierry, l’historien des Gaulois, et de cette étude si complète, si précise, sur toutes les hordes hunniques, depuis le jour où Balamir et Roua, entraînant avec eux toutes les nations nomades de l’Asie et du Nord, commencent le grand cataclysme, jusqu’à l’heure où les Magyars, derniers fils d’Attila, s’établissent définitivement en Europe.

On connaît les travaux de M. Amédée Thierry : il a raconté avec une science très sûre l’histoire primitive de nos pères, il a peint la Gaule celtique, son génie, ses vicissitudes, son initiation à la culture romaine; puis, arrivé à la fin du IVe siècle, il a vu apparaître tout à coup Attila et ses Huns. Faut-il exposer simplement les rapports d’Attila avec la Gaule? Est-ce assez de mettre en face l’un de l’autre le roi barbare et le général romain, le fils de Mound-Zoukh et le patrice Aétius? La bataille de Châlons est une des grandes journées de l’histoire : pour en apprécier l’importance, il est indispensable de connaître Attila tout entier. M. Thierry s’est donc proposé d’écrire l’histoire d’Attila; or le sujet est immense pour qui sait en embrasser l’étendue. Il touche à la fois au IVe siècle et au XIXe. Le roi des Huns n’a pas seulement passé comme un torrent en furie, il a eu des successeurs qui ont relevé son empire, et certaines traditions qui remontent à son époque se sont perpétuées jusqu’à nous. La politique des empereurs en face des héritiers des Huns, les transformations de ces peuples que le roi sauvage et les kha-kans ont introduits si violemment sur la scène du monde et qui y remplissent sous nos yeux un rôle si différent, toutes ces choses qui datent de mille ans et plus, ce sont les questions d’hier et d’aujourd’hui. Que de problèmes pour un esprit pénétrant! Bien que le récit de M. Thierry conserve toujours la gravité de l’histoire, il est impossible d’y méconnaître la trace des émotions patriotiques provoquées par la guerre de Crimée : c’est là l’intérêt et la beauté de ce livre.

Je ne viens pas analyser l’ouvrage de M. Amédée Thierry: les tableaux de l’Histoire d’Attila sont encore présens à l’esprit de nos lecteurs[1]. On a lu ces pages avec l’intérêt qui s’attache à toute œuvre historique fortement conçue et présentée avec art; on les a lues aussi avec la curiosité bien naturelle qu’éveillait ce rapprochement des guerres du moyen âge et des préoccupations de nos jours. Il y a de savantes histoires qu’on prendrait pour des œuvres sans date, tant l’auteur s’est détaché de tous les intérêts de son temps. Il en est d’autres qui, malgré des recherches très sérieuses, ressemblent à des pamphlets ou à des manifestes. C’est là le double écueil qui rend si périlleux le grand art des Thucydide et des Salluste. L’exactitude sans

  1. Voyez la Revue du 1er et 15 février, du 1er mars et 1er avril 1852, du 15 juillet, 1er et 15 novembre 1854, du 15 avril 1855 et 15 février 1856.