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rions signaler plus d’un passage où, entraîné par les habitudes du monde qui l’entoure, l’auteur s’exprime sans exactitude et sans justice sur ce qu’il appelle le rationalisme. C’est un autre adversaire qu’il entend combattre, et quoiqu’il ne lui consacre pas la vingtième partie des pages dirigées contre ses adversaires réputés orthodoxes, il se croit dans l’obligation de ne pas toujours traiter les philosophes avec une sagacité bienveillante. Il ne daigne pas toujours les comprendre, de peur de les ménager[1]; il essaie même de se lâcher quelquefois, pour n’être pas accusé d’indulgence; mais cependant quelle différence constante entre le ton de sa discussion, entre l’esprit dans lequel il écrit, et ce langage immodéré, ces excès de pensée et de diction auxquels nous avaient habitués d’autres défenseurs de l’église ! Le père Chastel dit quelque part que ces exagérations ne sont faites que pour rebuter ceux à qui on les adresse. Il a raison, et ce n’est pas encore là le plus grand mal. Si ce ton de violence devenait jamais dominant dans l’église, non-seulement elle abandonnerait les voies de la persuasion, mais elle verrait bientôt décliner l’autorité de sa parole. Que dans l’ardeur d’une vive discussion il échappe des expressions irritantes, on le conçoit et on l’excuse; la passion ne dépose pas contre la sincérité. Que la chaire même se permette une certaine véhémence, on peut le comprendre encore sans l’excuser : il faut émouvoir, il faut agiter un auditoire qui ne saurait être conduit tout entier par la raison; mais si dans un ouvrage fait à tête reposée, dans un mandement, dans une lettre pastorale, se retrouvent les mêmes invectives écrites avec le plus grand sang-froid du monde, comment l’expliquer? Est-ce à dessein, est-ce par laisser-aller qu’on parlerait ainsi? Que voudrait-on inspirer, le dédain ou le ressentiment? Ce ton d’anathème ne peut être sincère, et ceux qui veulent parler dans la chaire de vérité ne doivent point s’exposera cette question : « Parlez-vous sérieusement? » L’exemple des controverses politiques abuse. Elles admettaient une vivacité, une violence qui pouvaient avoir leurs périls, mais dont enfin personne n’était dupe; l’esprit de parti ne peut se donner pour inspiré d’en haut. Que l’éloquence religieuse prenne les mêmes licences, qu’elle se permette la même exagération dans l’invective ou dans la flatterie, et elle amènera ses auditeurs à beaucoup rabattre de leur confiance dans la vérité des sentimens qui l’inspirent. Et qu’arrivera-t-il alors, quand les mêmes bouches annonceront l’Évangile? Quelle autorité leur restera-t-il pour affirmer les mystères, les espérances, les menaces enfin de la religion? La déclamation, qui est

  1. Ainsi nous aurions bien quelque reproche à lui faire sur la manière dont il interprète un passage d’un article inséré dans la Revue par M. Saint-René Taillandier (15 août 1853), passage dont l’auteur ne nous parait pas en dire beaucoup plus que n’en dit le père Chastel lui-même à la page 466 de son ouvrage.