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A peine arrivé en Crimée, je parcourus une partie des camps et des ambulances, et le 15 mars, sans plus attendre, je fis connaître au maréchal Pélissier l’état sanitaire de l’armée. La première question que je m’étais posée est celle-ci : le typhus règne-t-il seulement dans les ambulances, ou sévit-il également dans les régimens? — Je me convainquis que le second cas n’était que trop réel, et je demandai qu’on veillât scrupuleusement à ne laisser sous la tente ni même dans les infirmeries régimentaires aucun homme atteint de typhus; quiconque en offrirait les premiers symptômes devait être envoyé aux ambulances. Le miasme humain ne devenant contagieux qu’après quelques jours de maladie et surtout à la période des sueurs critiques, cette recommandation était de la plus haute importance. Je demandai aussi qu’on changeât l’assiette de tous les camps, dont le sol était profondément imprégné d’impuretés; que, toutes les fois que le temps le permettrait, on déplaçât les tentes, ou au moins qu’on en relevât le rideau circulaire à une hauteur d’environ 80 centimètres. On empêcherait ainsi les soldats de se blottir une grande partie du jour sous des abris qu’ils tenaient hermétiquement fermés, même par le plus beau temps. Le sol des tentes, une fois sec, devait recevoir une couche de lait de chaux renouvelable, qui l’assainirait et le durcirait. Les couvertures et les effets d’habillement devaient être étalés au soleil le plus longtemps possible. Les couvertures ayant servi à des hommes atteints de typhus devaient être soumises à des fumigations chlorurées pendant plusieurs heures avant d’être réemployées. Bon nombre d’infirmeries régimentaires avaient une installation défectueuse : au lieu de deux baraques, plusieurs n’en avaient qu’une seule; le sol n’était pas toujours protégé contre l’humidité par un lit de camp ou au moins par quelques planches. Il fallait faire blanchir intérieurement les baraques à la chaux, soumettre à de fréquentes fumigations sol et parois. Quant à l’alimentation, on devait augmenter d’un sixième la ration de viande conservée et distribuer une ration quotidienne supplémentaire de vin, pour doter l’armée d’une plus grande somme de résistance aux atteintes du mal. Je conseillai encore, comme d’excellens auxiliaires d’une bonne hygiène, les exercices pris dans de sages proportions, quand le temps est beau; rien n’est si pernicieux que le repos absolu, l’oisiveté amollit le corps et l’âme. — Les 6,000 matelas distribués quatre mois auparavant par les soins de l’intendant-général étaient en partie hors de service. Il en restait tout au plus 2,500. Les baraques n’existaient guère que pour une population de 4,500 malades. Les couvertures étaient très nombreuses, mais presque toutes contaminées; les draps et les vêtemens d’hôpital manquaient, ainsi que les moyens d’un bon lessivage. Encore pour obtenir ces ressources, qui