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sont les symptômes de cette première phase de la maladie. Les soldats étaient rarement envoyés aux hôpitaux pendant cette période, mais presque tous les hommes admis pour d’autres maladies avaient en même temps le scorbut à ce premier degré. A la deuxième période, les gencives se gonflent, se ramollissent, s’ulcèrent, répandent une odeur infecte et nuisible : une sœur de charité est morte d’une angine gangreneuse pour avoir respiré l’haleine d’un scorbutique dont elle avait touché, à l’aide d’un pinceau imbibé d’acide chlorhydrique, les gencives ulcérées. Les dents deviennent mobiles, plus saillantes; les extrémités inférieures s’infiltrent, présentent des taches livides, des épanchemens sanguins étendus, surtout à la partie interne, des engorgemens séreux considérables. Les muscles, privés d’élasticité, sont durs et comme ligneux; le patient ne peut plus marcher. Dans la troisième période, les ulcères grisâtres des gencives gagnent les autres parties de la bouche ; parfois ils perforent les joues sous la forme de plaques gangreneuses, dont les glandes parotides sont principalement le siège. Ils rongent entièrement les amygdales et déterminent la carie des os maxillaires. Des hémorrhagies ont lieu par la bouche, le nez, les voies urinaires et intestinales; le pouls devient extrêmement faible, l’amaigrissement et le ramollissement des tissus font des progrès; enfin la cachexie séreuse scorbutique se termine assez souvent par une asphyxie déterminée à la suite d’un œdème de la glotte et de l’épiglotte, qui empêche l’air d’arriver dans les poumons. Souvent aussi des congestions se forment dans les viscères, qu’on trouve après la mort infiltrés d’un sang décoloré et très appauvri.

Le scorbut a régné sous forme épidémique, et s’est rarement présenté sans être compliqué d’une diarrhée ancienne, d’une fièvre intermittente et rémittente, d’une bronchite, d’une pneumonie, etc. Ces complications ont été les causes les plus directes de la mortalité qu’a produite le scorbut. Le traitement à suivre est hygiénique bien plutôt que thérapeutique. En quittant la Crimée, les scorbutiques échappaient aux influences occasionnelles. A Constantinople et surtout en France, le régime des alimens frais, prudemment ingérés, suffisait presque toujours pour opérer la guérison, quand la maladie était simple et sans complication.

Les troupes ottomanes campées à Eupatoria envoyaient chaque mois à Varna un millier de scorbutiques, les plus gravement atteints; un court séjour dans un lieu où abondaient les légumes frais rétablissait leur santé. Pour appliquer ce remède souverain aux scorbutiques de notre armée, il n’eût fallu que découvrir une île propice dans l’Archipel et obtenir l’autorisation de nous y installer. Méteiin semblait réunir les conditions requises, et dès les premiers jours