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malades. Nous avons déjà signalé les dangers d’une grande réunion d’hommes atteints de maladies graves, forcés de rester presque toujours couchés; c’est donner trop de prise à l’infection, qui est pour une très grande part dans la mortalité. Les eaux, de bonne qualité et abondantes, étaient amenées de la belle forêt de Belgrade, où les étrangers vont admirer les gigantesques aqueducs de Constantin et les barrages plus merveilleux encore des eaux, qui sont retenues par d’énormes blocs de marbre transportés à grands frais sous le règne du sultan Mahmoud. En face de l’hôpital de Péra s’élevaient les côtes d’Asie, la ville de Scutari et son mamelon profondément raviné, qui descend au Bosphore et domine le grand champ des morts, planté d’arbres toujours verts. Les malades venant de Crimée étaient débarqués à Bachistach, ils n’étaient séparés de l’hôpital que par 2 kilomètres; mais la montée est si raide, que les convalescens eux-mêmes avaient grand’peine à faire le trajet à pied. A la tête de ce grand établissement ont été successivement placés des médecins renommés, MM. Scoutetten, Morgues et Cambay. Tous trois se sont efforcés de réduire le plus possible le chiffre de la population hospitalière, mais les lits ne restaient jamais inoccupés : la Crimée nous envoyait chaque jour de nouveaux malades; chaque navire en apportait de 2 à 300. Après la prise du bastion Malakof, l’hôpital a reçu dans un seul jour jusqu’à 800 malades, dont 595 étaient des prisonniers russes grièvement blessés. La plupart de ces derniers ne consentirent pas d’abord à subir les grandes opérations que leur état exigeait; ce n’est que plus tard, en voyant mourir leurs camarades, qu’ils se décidèrent. Malheureusement ce retard était fatal, et pourtant ils ont survécu en plus grand nombre que nos soldats, parce que leur constitution était moins profondément altérée par les fatigues et les privations. Ils se montraient doux et fort reconnaissans envers les médecins français, qui les traitaient comme nos propres soldats, au milieu desquels ils étaient couchés. Aucun ne chercha à s’évader. Notre ration de pain blanc, d’une digestion plus facile que leur pain de munition russe, ne leur suffisait pas; il fallut l’augmenter. Ces soldats portaient sur eux des images de saints ou des croix en cuivre suspendues au col dans un scapulaire; ils récitaient chaque jour leurs prières dans leur lit sans se préoccuper du public. On donnera une idée de l’importance de l’hôpital de Péra en rappelant qu’il a reçu pendant les vingt-deux mois de son existence 27,500 malades, dont 9,460 sont sortis entièrement guéris, 13,000 ont été évacués sur France ou sur d’autres hôpitaux, et 5,040 sont morts.

Depuis le 21 mai 1853, l’hôtel de l’ambassade russe à Péra était resté fermé. À cette date remonte le brusque départ du prince Menchikof. Tandis que les officiers et les soldats français et russes en-