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saillans. La retraite des Russes sur la rive gauche du Danube jeta dans les troupes alliées, impatientes de marcher au combat, un sentiment de surprise pénible et presque de découragement. Le maréchal de Saint-Arnaud comprit qu’il fallait opérer une puissante diversion morale, occuper ses soldats, les tirer d’une inaction fatale, réveiller leur ardeur et répondre par un de ces grands coups d’une audace sagement calculée à l’attente de l’Europe. En ce moment, le cabinet de Saint-James insistait vivement pour qu’on allât en Crimée détruire Sébastopol et la flotte russe de la Mer-Noire. Les instructions du maréchal de Saint-Arnaud, moins impératives, lui laissaient sur ce point toute liberté d’action. On commença donc par faire explorer les côtes de Crimée, et dès que l’expédition fut reconnue possible, elle fut irrévocablement décidée malgré l’avis contraire des amiraux commandant les flottes alliées, qui redoutaient l’inconstance de la mer dans une saison déjà avancée.

C’est au milieu des préoccupations causées par ce prochain départ que la nouvelle de l’apparition non équivoque du choléra vint surprendre l’armée. A la date du 9 juillet, le fléau s’était montré dans les hôpitaux de Varna; il fut sans doute importé en Orient avec les contingens successifs de la 5e division, embarqués dans le midi de la France, dont les populations étaient en proie à l’épidémie. Il fit d’abord son apparition au Pirée, puis à Gallipoli, où il enleva en quelques heures les généraux duc d’Elchingen et Carbuccia. L’expédition de la Dobrutcha ne tarda pas à lui fournir de nouvelles victimes. On sait dans quelles circonstances elle s’accomplit. Quelque grand que fût le désir de porter immédiatement les armées alliées en Crimée, on ne pouvait y songer avant une quinzaine de jours. Ce délai était indispensable pour les préparatifs du départ; on crut devoir en profiter pour faire une démonstration qui inquiétât l’ennemi et le trompât sur les projets d’attaque contre Sébastopol. D’après les rapports officiels d’un colonel d’état-major envoyé sur les lieux, les Russes avaient à 45 lieues de Varna, aux environs de Babadagh, 10,000 hommes de troupes avec 35 pièces de canon. Les trois premières divisions de l’armée française furent envoyées à leur recherche; elles devaient suivre le littoral de la mer pour la facilité des ravitaillemens. On comptait atténuer l’influence cholérique par les changemens quotidiens des bivouacs. Le 21 juillet, le général Espinasse, qui commandait par intérim la première division, pendant que le général Canrobert explorait les côtes de la Crimée, reçut l’ordre de se porter sur Mangalia à la tête de 10,500 hommes, dont 328 officiers. Seize officiers et 925 soldats étaient restés à Varna dans les infirmeries et les hôpitaux. Le 1er régiment de zouaves, transporté par mer à Kustendjé, devait opérer