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jusqu’à la Porte-des-Canons (Top-Capou); les malingres avaient souvent de la peine à faire ce trajet, et les Turcs, dont on méconnaît en Europe le cœur compatissant, les soutenaient ou les faisaient asseoir. Lorsqu’on est arrivé en dehors des murailles, à la Brèche-des-Croisés, la route continue à monter jusqu’à Maltépé, mais par une pente douce. Elle traverse l’immense cimetière planté de térébinthes et de cyprès séculaires qui borde la longue ligne occidentale des remparts de Stamboul. On arrive bientôt à un monticule historique où l’on aperçoit un petit moulin à vent, le seul qui existe dans cette plaine. C’est là, dit-on, que les soldats du sultan Mahmoud furent harangués par leurs chefs et par les ulémas en 1826, au moment de partir pour Maslak, où ils massacrèrent dans leurs camps les janissaires révoltés. L’hôpital est à 200 mètres plus loin. De la façade principale, on découvre dans une perspective fuyante l’admirable panorama de Constantinople, de la mer de Marmara, des îles des Princes et des montagnes de l’ancienne Bythinie, surmontées d’une couronne de neige. Les malades ne se lassaient pas d’admirer ce beau spectacle, qui les disposait au recueillement, au calme, si nécessaires à la guérison.

L’établissement de Maltépé forme un grand rectangle. Les quatre corps de bâtimens embrassent une très vaste cour, plantée de quelques arbres. Les murs sont en bois du côté de la cour et en pierre du côté des champs. Le côté du rectangle situé en face de Constantinople n’a qu’un rez-de-chaussée surmonté à ses angles d’un petit pavillon. Il est bordé extérieurement par un verger que rafraîchissent des eaux vives reçues dans des bassins de marbre. Il présente au centre une porte d’entrée monumentale, en marbre blanc, d’un bon style byzantin. Ce corps de bâtiment contient plusieurs dépendances de l’hôpital : les bains turcs, la buanderie, la cuisine, la pharmacie, les bureaux et deux chambres d’honneur, l’une dite du sultan, l’autre dite du séraskier (ministre de la guerre). Les trois autres faces du rectangle présentent un rez-de-chaussée et un étage le long desquels règne du côté de la cour un corridor pour donner accès dans les chambres prenant jour sur la campagne. Chaque chambre contenait de 30 à 40 lits turcs; ces lits sont de grandes boîtes de sapin soutenues par des tréteaux en fer et renfermant deux matelas en coton ou en laine. Un aqueduc, toujours largement approvisionné, versait en abondance dans tout l’établissement une eau d’excellente qualité. Les ouvriers du génie militaire firent sans retard les travaux nécessaires à nos besoins, qui sont un peu différens de ceux des Turcs, et cet hôpital ne cessa d’être occupé par nous qu’au 31 mai 1856, époque où les troupes de Crimée commencèrent leur embarquement pour la France, qui se termina le 5 juillet suivant, sous les yeux du maréchal Pélissier.