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Un empereur qui dissipait les finances de l’état dans les plus folles prodigalités ne pouvait réserver grand’chose pour élever des monumens; il bâtit cependant sur le Palatin un temple à son dieu, qu’il avait apporté d’Orient; il ajouta des bains au palais impérial, mais ce fut dans une pensée infâme. Il ajouta aussi des portiques aux thermes de Caracalla, qu’en tout il s’appliquait à continuer et à surpasser; enfin il attacha à ces thermes un souvenir d’impudicité. Marc-Aurèle avait défendu que les deux sexes se baignassent en commun; Héliogabale, qui encourageait la débauche comme un art libéral, supprima cette défense. Alexandre Sévère devait la rétablir. Après les lieux de désordre, ce qui intéressait le plus Héliogabale, c’était le cirque avec ses joies tumultueuses, le cirque si cher à cette foule, dont peut-être dans sa stupidité il eût négligé de s’occuper, mais dont sa mère et sa grand’mère, plus avisées que lui, songèrent sans doute à flatter la passion. Il déploya dans le Circus Maximus une extravagance digne de lui. On remplissait ordinairement d’eau un canal qui le bordait et qu’on nommait l’Euripe; Héliogabale le remplit de vin. Cette profusion insensée dut charmer la multitude qui avait remplacé le peuple romain, et à laquelle Héliogabale plaisait, comme lui avaient plu Néron et Caracalla. Le bouffon impérial la divertissait par ses folies, par les espiègleries, quelquefois cruelles, que cet enfant imbécile et malicieux faisait subir aux premiers personnages de l’état, et qui humiliaient tout ce qu’une plèbe corrompue aime à mépriser.

Héliogabale ne fut pas même un tyran, mais un fou, car il ne gouvernait pas assez pour beaucoup opprimer. Julia Mœsa et Julia Soaemis régnaient sous son nom. La mère de l’empereur assistait aux séances du sénat, et signait de sa main les décrets que ce sénat était censé rendre. On ne s’étonnera pas, d’après cela, qu’Héliogabale ait institué un sénat de femmes sur le Quirinal. On y décrétait des sénatus-consultes ridicules; on y prononçait sur les parures que les matrones romaines de différentes conditions avaient le droit de porter; on y décidait laquelle, lorsque deux d’entre elles se rencontraient, devait céder le pas à l’autre et être embrassée la première. Les susceptibilités de l’étiquette moderne ne furent donc pas étrangères à l’antiquité : elle a connu des sujets de discussion aussi importans que ceux de la préséance et du tabouret.

Les autres empereurs qui souillèrent le trône conservèrent dans leur démence quelque trace de l’homme. Commode, le plus bestial de tous avant Héliogabale, avait au moins les goûts du chasseur, sinon du guerrier. Il tuait, sans danger il est vrai, des lions dans l’amphithéâtre. Chez Héliogabale, nul vestige d’un sentiment viril; il est puéril dans ses infamies. C’est un enfant qui vit comme une brute. Pour former ce prodige de honte et de délire, il fallait que