Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/577

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme c’est l’ordinaire, le col tordu et l’air furieux, caricature que les artistes n’auraient pas osé se permettre, mais que dans sa démence Caracalla leur imposait. Il voulait que ses bustes eussent la tête penchée, comme il affectait de la porter pour ressembler à Alexandre, et qu’on lui donnât un air terrible. Malgré tout le bien que Spartien dit de Géta, j’incline à croire avec Dion Cassius qu’au moral il ressemblait aussi à son frère. C’est parfois une bonne fortune d’être tué à propos. L’horreur que fait éprouver le meurtre inspire souvent à l’historien un intérêt excessif pour la victime. Géta n’a point dans ses bustes ce visage de fou furieux qu’affectait Caracalla, mais il n’a pas l’air bon. Ce qui est certain, c’est que les deux fils de Sévère avaient l’un pour l’autre une haine violente. Ils ne pouvaient se supporter ni même se voir, et ils s’étaient partagé les bâtimens impériaux du Palatin, assez vastes pour qu’ils pussent y vivre sans se rencontrer. Ils avaient supprimé toute communication entre leurs demeures. Pendant ce temps, on frappait des médailles où se voyait la double effigie impériale et se lisaient ces mots : Concordiœ perpetuœ, concordiœ œternœ. Malgré cette assurance de concorde perpétuelle, éternelle, l’un des frères devait à la fin être tué par l’autre. Géta n’ayant point tué Caracalla, Caracalla tua Géta.

Géta fut égorgé dans les bras de sa mère Julie, où, blessé, il s’était réfugié. Caracalla s’y était pris adroitement pour se débarrasser de son associé. Il était allé au camp des prétoriens, près d’Albe, — là où est aujourd’hui la charmante petite ville d’Albano, qui occupe l’emplacement de ce camp et du palais de Domitien, et dont la position riante contraste si fort avec de tels souvenirs, — affirmant que son frère avait conspiré contre lui et manqué de respect à Julie, leur mère, puis il l’avait fait frapper dans le palais. Ensuite il ordonna qu’on mît à mort plusieurs de ceux qui avaient servi d’instrument à son crime et qu’on rendit des honneurs à la statue de Géta. C’est le meurtre avec la perfidie et l’hypocrisie de plus.

Caracalla ne commença donc point par effacer sur les monumens le nom et les images de son frère; mais il semble que bientôt les furies vengeresses le saisirent et que le nom de Géta le troubla. Les auteurs n’osaient plus donner à leurs personnages ce nom, qui est souvent celui d’un esclave dans les comédies romaines. C’est probablement alors qu’il voulut aussi imposer silence aux monumens, et qu’il fit mourir tous ceux qui furent soupçonnés de regretter Géta, au nombre, assure Dion Cassius, de vingt mille. Pour moi, dans cette rage qui poussait le meurtrier à supprimer tout souvenir de sa victime, je vois moins encore l’acharnement de la haine que le besoin de fuir l’obsession du remords. Cependant cette suppression impuissante a laissé un vestige qu’on peut reconnaître encore aujourd’hui là où