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temple de la Concorde, et par là, le premier, troubla le bel effet d’ensemble que ce lieu présentait. C’est une faute de goût sans doute, mais il ne faut pas nous en étonner, car la décadence arrive; l’arc de Septime-Sévère semble bâti, à son premier avènement, pour la laisser passer.

La décadence paraît surtout dans les sculptures. Si on les compare avec celles du temps des Antonins, on sera frappé de leur prodigieuse infériorité. Il y a entre les unes et les autres la plus grande des distances, la distance du beau au laid, et cependant les deux époques se touchent. Ces chutes soudaines se rencontrent souvent dans l’histoire de l’humanité. De même qu’à certaines heures privilégiées de la vie des peuples le beau semble naître par une éclosion soudaine, de même aux heures fatales le beau meurt de mort subite, comme le jour sous les tropiques commence et finit tout à coup. Cette apparition et cette disparition ne se produisent, il est vrai, que lorsqu’elles ont été suffisamment préparées, mais elles sont parfois presque instantanées. Le lendemain, on ne parle plus la langue de la veille. C’est ainsi qu’en voyage on est souvent étonné de passer sans transition d’une race à une autre race, d’un idiome à un autre idiome. Les différentes périodes de la civilisation, des lettres, des arts, ont aussi leurs frontières, parfois très brusquement tranchées. Un torrent, un sommet sépare des populations entièrement différentes; on passe le torrent, on franchit le sommet, et on ne retrouve plus rien de ce qu’on a laissé de l’autre côté. Pareillement tel pas fait dans l’histoire transporte de la région de la beauté ou de la puissance dans celle de la laideur ou de la ruine.

L’architecture de l’arc triomphal de Septime-Sévère est fort supérieure à la sculpture. J’avais déjà eu l’occasion de faire remarquer que le premier de ces deux arts résiste mieux que le second à la décadence; j’ai eu le plaisir de retrouver cette observation dans une lettre de Raphaël.

Les proportions de l’arc de Septime-Sévère sont encore belles. L’aspect en est imposant; il est solide sans être lourd. La grande inscription où se lisent les épithètes victorieuses qui rappellent les succès militaires de l’empereur, Parthique, Dacique, Adiabénique, se déploie sur une vaste surface et donne à l’entablement un air de majesté qu’admirent les artistes. Cette inscription est doublement historique : elle rappelle les campagnes de Sévère et la tragédie domestique qui après lui ensanglanta sa famille, le meurtre d’un de ses fils immolé par l’autre, et l’acharnement de celui-ci à poursuivre la mémoire du frère qu’il avait fait assassiner. Le nom de Géta a été visiblement effacé par Caracalla. La même chose se remarque dans une inscription sur bronze qu’on voit au Capitole et sur le petit arc