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sujet, c’est le peuple, et le peuple est en soi quelque chose de si funeste, que populus vient de populare, dévaster, philologie bien digne de la politique qu’elle justifie. L’unité du pouvoir n’est pas seulement bonne et sage, comme l’admettait Bossuet; c’est la seule bonne loi, car c’est la loi naturelle des sociétés. Le pouvoir n’est légitime qu’autant qu’il est un. Du reste, il est difficile de voir dans quel temps et dans quel pays M. de Bonald trouve cette théorie exactement réalisée. Ce n’est pas dans l’antiquité, pour laquelle il professe une vive aversion; ce n’est pas évidemment en Angleterre, en Hollande, en Suisse, contrées qu’il poursuit des sarcasmes d’une constante antipathie; ce n’est pas généralement dans l’Europe moderne depuis le traité de Westphalie, qu’il accuse d’avoir détruit profondément l’ordre conservateur des sociétés et constitué l’anarchie en reconnaissant le dogme athée de la souveraineté de l’homme. La France monarchique elle-même ne trouve pas devant lui grâce entière. De Charles VII à Louis XVI, la royauté a souvent trahi la cause sacrée du pouvoir. L’établissement des troupes soldées est une faute des rois, comme celui des ordres mendians est une faute des papes. Ainsi que les abus de l’église ont amené la réformation, les abus de la noblesse ont produit la révolution. Le gouvernement de Louis XIV n’égalait point tel gouvernement de la France postérieur au traité de Campo-Formio, si préférable au traité de Westphalie. Quant au gouvernement de la restauration, il n’avait de bon que l’antiquité de la dynastie. « Jamais, écrivait M. de Bonald à M. de Maistre en parlant de la charte de 1814, jamais la philosophie irréligieuse et impolitique n’a remporté un triomphe plus complet.» C’est qu’en effet dans ses idées, dès que le pouvoir est conditionnel, il se dégrade, il se corrompt. La souveraineté étant en Dieu, le pouvoir, qui est de Dieu, doit être comme elle. Il ne peut trouver ses limites, c’est-à-dire ses règles, hors de lui, ou le sujet deviendrait pouvoir. Si l’iniquité égare celui qui l’exerce, le pouvoir est encore de Dieu, car il devient l’instrument de sa justice. Ainsi, qu’il soit l’image ou le fléau de Dieu, il est toujours divin, et ce qui est divin est absolu. La métaphysique du droit divin est identique à celle du pouvoir absolu. Tout gouvernement légitime est au fond théocratie.

Je n’ai pas besoin de demander si un parti serait bien inspiré d’invoquer de semblables doctrines, et à qui profiterait la solidarité qu’on tenterait d’établir entre celui qui les a produites et ceux qui célèbrent encore son nom.

Je n’exagère rien, et en me bornant à quelques traits, je conserve à la doctrine sa véritable physionomie. Elle mériterait sans doute un examen plus approfondi; mais ce n’est pas le lieu, et cet examen d’ailleurs serait plus favorable à l’auteur qu’à elle. Il pourrait ajou-