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dant, arrivé près du camp des Pândavas, le guerrier se trouve face à face avec une apparition hideuse, qui vomit des torrens de feu et veille sur les héros endormis : ce spectre lance par milliers, sous forme de rayons, des images de Vichnou, dieu protecteur des fils de Pândou. En vain Açvatthâman attaque hardiment le fantôme : l’être surnaturel dévore les flèches, brise le timon du char et semble avaler la lame du cimeterre. Cette fois le guerrier s’est troublé ; il a compris que les dieux interviennent pour l’arrêter dans son fatal dessein. Le voilà qui chancelle un instant : l’homme ne peut rien contre les divinités, mais il existe une divinité redoutable, le grand dieu, Mahâdéva ou Civa, qui se plaît à la destruction, auquel fait obstacle cet autre dieu puissant, conservateur et miséricordieux, que l’on nomme Vichnou : c’est Mahâdéva que le guerrier invoquera. Sautant à bas de son char, il lui adresse un hymne de louanges où respire une foi ardente. Tout aussitôt un autel paraît au milieu d’une ronde de démons horribles à voir, portant des corps de chien, de chameau, de chacal, d’ours, de chat, de tigre, de panthère, et même des têtes d’oiseaux[1]. Quand ces êtres effroyables ont achevé leur sabbat, Açvatthâman donne son âme à ce dieu qui ressemble beaucoup au diable.

« Cette âme qui est mienne, née dans la famille d’Anguiras[2], dans le feu allumé par toi, je la sacrifie aujourd’hui ; reçois-la comme une offrande de ma part. — Avec dévotion à ta personne, avec une suprême absorption de ma pensée en toi, ô Mahâdéva, en cette détresse je me voue à toi, ô âme du monde[3] ! »

Mahâdéva entre dans le corps du guerrier, qui lui livre son âme, et les Pântchâliens, alliés des Pândavas, sont voués au dieu de la mort[4]. Voilà Açvatthâman qui s’élance vers le camp des vainqueurs tout rempli du dieu qui l’anime. Il se glisse auprès de la couche richement ornée sur laquelle repose Dhrichtadyoumna, chef des Pântchâliens et meurtrier de son père. À coups de talon, il lui brise la tête, et comme le jeune prince, qui lui déchire les jambes avec ses ongles, le supplie de l’achever d’un coup de son glaive : « Non, répond le guerrier, la mort des kchattryas n’est pas pour toi, qui as tué le brahmane mon père ! » Et il brise à coups de pieds toutes les articulations du corps de son ennemi. Aux cris que pousse le

  1. On voit dans l’Inde des bas-reliefs qui représentent au naturel toute cette guirlande d’êtres difformes enroulée autour d’une figure humaine debout et immobile.
  2. Sage des temps anciens, de qui prétend descendre une race nombreuse de brahmanes.
  3. Chant du Saoptikaparva, lecture 7, vers 306 et suivans.
  4. C’était leur roi, Dhrichtadyoumna, beau-frère des fils de Pândou, qui avait tué Drona, père d’Açvatthâman.